Altriman 2023 : mi-ange, mi-démon
Une semaine après ce triathlon XXL de dingue, j’ai encore la tête dans les montagnes… Et malgré l’issue sportive peu reluisante, j’ai quand même vécu une grosse et riche expérience personnelle.
Retour sur ces 2 journées éprouvantes.
Vendredi 07 Juillet.
Me voilà arrivé au village Les Angles. Fatigué par mes 1000 kilomètres de route, et avec du sommeil en retard depuis 1 semaine, je dois enchainer immédiatement sur ma logistique : trouver l’appart que je loue, récupérer les clés. Et surtout, retirer mon dossard (46) au centre village. Puis, déposer mon vélo de l’autre côté du village. Au pied du Lac de Matemale.
Ce n’est donc pas le moment de se reposer !
Une petite contrainte professionnelle qui vient se glisser là et qu’il me faut gérer à distance ne va pas vraiment m’aider non plus à être parfaitement reposé… Ni d’être bien focus sur le lendemain :/
Car ce qui m’attend, c’est du lourd :
- 3800 mètres de natation,
- suivis d’environ 200km de vélo en montagne avec environ 5000D+. Parmi lesquels des côtes de 1ère catégorie, et une grosse et longue bosse Hors-Catégorie.
- Et pour finir, un marathon, avec un dénivelé de 800m D+ également.
La course s’appelle Altriman XXL.
C’est en quelque sorte ce qu’on pourrait appeler un ironman de montagne.
Leur crédo : La Folie est la seule chose qu’on ne regrette jamais !
Malgré tout, la logistique se déroule bien. Mais je suis de retour à l’appart après 20h, après avoir assisté au Briefing obligatoire — on est environ 300 participants.
Le temps de finaliser les derniers préparatifs de mon matériel. Et de manger.
Il est enfin temps de se reposer et d’aller dormir.
Samedi 08 Juillet.
Réveil à 3h00. Forme générale moyenne. Le départ est dans 2h30 mais intérieurement, je suis déjà en train de bouillir. Je cumule du retard de sommeil.
Pourtant, impossible de dormir, j’ai besoin d’être actif.
Finir ma logistique, prendre un petit déjeuner solide (confiture de figue, barres d’amande, etc.) car c’est dès maintenant que je dois rentrer en mode gestion de l’énergie et de ma nutrition.
Effectuer quelques étirements.
Et poser mes lentilles, que j’utiliserai au moins durant la natation. Lentille de l’oeil gauche, ok. Lentille de l’oeil droit… Aïe. La lentille me gène, mais je mets ça sur le dos d’un simple cil. Le temps de sortir de l’appart que je loue pour l’occasion, et en voiture Simone ! Je me trouve à 10/15 minutes en voiture du parking d’où je pourrai décharger mon matériel.
Mais à mi-parcours… Ma lentille droite me brûle de plus en plus. Impossible de la conserver… Le temps de me garer, je l’enlève. Et je constate qu’elle était abimée, et c’est ce qui causait un frottement avec ma cornée. Heureusement, il m’en reste une autre paire… Mais à l’appart !
Je dois donc refaire tout le chemin inverse, en mode borgne — puisque mon oeil droit voit tout flou désormais.
Aller chercher la seconde lentille. La poser, et refaire toute la route pour revenir au Lac de Matemale. Je n’avais pas besoin de ça ce matin…
Par conséquent, au lieu d’arriver parmi les premiers — et de prendre mon temps — je vais dévoir me précipiter pour limiter les dégâts. Je serai de retour finalement moins d’1 heure avant le départ sur le parking :/
J’arriverai ensuite sur mon emplacement n°46, d’où je pourrai finir de préparer tout le matériel pour mes transitions : alimentation, gourdes, sac pour la course à pieds, etc. Et confier des sacs de transition aux organisateurs.
Il est environ 5h10 du matin, et le départ de la natation est dans 20 minutes
Il s’agira d’un Mass-Start, c’est à dire qu’on va tous partir dans l’eau en même temps. L’échéance se rapproche… L’ambiance est studieuse.
Forcément, Je sens un stress monter. Alors pour me contenir, je me concentre sur d’autres choses : je reserre ma montre, je fais en sorte que ma combi ne me gène nulle part, je nettoie mes lunettes… Et surtout, je traverse tranquillement le petit pont qui nous amène à la plage. Là où le départ va avoir lieu.
Je prends connaissance de l’environnement. Et du spot lumineux, qui est visible sur la rive en face, à environ 800 mètres de là. Spot qu’il faudra viser, car il indique la position de la première bouée, à contourner par la gauche.
Il est loin ce spot quand même…
Il me reste 15 minutes. Je n’ai pas nagé depuis au moins une semaine — les plannings pro/perso m’y ont contraints. Alors je prends rapidement la température. Malgré la combi, on sent un peu l’eau dans le dos, et puis sur les extrémités du corps évidemment.
Mon stress est toujours sous-jacent, je ne suis pas tranquille. En cause, mon problème de lentille récent. Mais surtout le souvenir de ce qui m’est arrivé au Natureman 3 ans auparavant reste gravé dans mon crâne. Alors je cherche à positiver, à me rassurer. Une forme d’auto-hypnose quoi… L’eau douce est à parfaite température, la combi facilite la flottaison. Bref, je fais quelques va-et-vient en crawl, pour m’échauffer un peu. Pour prendre confiance.
Le speaker nous annonce que tout le monde est là, et que le départ va se dérouler dans moins de 10 minutes maintenant. Eyes of the tiger à fond dans les enceintes, public qui nous motive… je suis toujours plus ou moins stressé, mais bon… je vais partir tranquille — me dis-je.
La barrière horaire est à 2 heures, il me semble, ça va.
Les minutes sont longues, je lutte pour ne pas stresser bêtement. Et j’attends, les pieds dans l’eau, avec quelques triathlètes. La plupart sont posés sagement sur la plage et attendent.
Et puis le décompte…………
3………
2……
1…
Goooooooooo !!!
Là je plonge, et j’avance d’1 ou 2 mètres. Alors que tous les autres fondent sur moi. Et manquent de me noyer. J’exagère sûrement, mais sur le coup…
Je me suis fait bousculer dans tous les sens, la tête dans l’eau, je ne comprends rien, j’étouffe… Il faut absolument que je sorte de là.
Mon coeur bat la chamade, je ventile.
Je stresse à 2000%.
J’essaye de regagner la plage sur la gauche, en me prenant pleins de nageurs dans la face.
Je me prends des coups.
Et quelques secondes plus tard, je me retrouve déjà largué. Seul, avec des bénévoles sur leurs canoë à me demander si “ça va ?!”.
P**t**n… c’était cahotique.
Ultra stressé, tout me passe par la tête…
Mon pote Xav — entraineur national — avec qui j’avais déjà débriefé de cette situation 3 ans auparavant. Steve le Phoque que j’ai découvert récemment, lequel traverse la Manche, à la nage. Ou encore Théo Curin, handicapé, qui est venu s’entrainer dans ce même lac.
Et moi… P**t**n… je ne vais pas craquer là bêtement au bout de 10 mètres dans un lac tout doux… !!!
Ma respiration est hâchée, je ne vais jamais réussir à nager dans ces conditions. Je me force à retourner à l’eau, mais j’étouffe. Alors, je m’arrête encore quelques (trop longues) secondes…
Je prends sur moi, je m’auto-hypnose, ça va aller…
Allez…
…
…
Et je me lance…
Et ça marche… Du moins j’avance… Je limite les dégâts.
Psychologiquement, j’ai l’impression de revenir de loin…
Mais le principal c’est d’avancer.
Je cherche à me rassurer en faisant ce que je sais faire et sans me fatiguer
Respiration à droite en 2 temps. Pas -ou très peu- de mouvements de pieds. Bras relâchés. Une nage proche du semi-rattrapé, avec toujours un bras allongé devant moi. Et pas de mouvements brusques ni rapides, j’y vais tranquille. C’est lent. Mais au moins, le point 0 est derrière moi !
Quelques minutes après ce départ catastrophique, je lève la tête, et je vois l’eau bouger pas très loin devant moi. En fait… ils ne sont pas si loin les autres ! J’en découvre même quasi à ma hauteur. De quoi me rassurer sur la situation.
Au bout de plusieurs longues minutes, j’arrive à hauteur de la 1ère bouée, mais l’obscurité & une forte condensation sur mes lunettes me la font rater. Un bénévole me siffle et m’indique que j’aurais dû prendre la bouée par la gauche. “Tant pis, c’est pas grave” me dit-il, et il me laisse poursuivre. Là, je distingue les 2 bateaux à 100/200 mètres de là qui encerclent la prochaine bouée. Je crois deviner que tous les autres nageurs sont à cette hauteur-là.
Bref, je continue sur mon rythme, en veillant à lever la tête régulièrement pour nager le plus droit possible. Je contourne facilement la bouée. Et dans le virage, je distingue 3 ou 4 nageurs derrière moi. Maintenant, il faut retourner d’où on est partis. Passer sur le pont qui joint les 2 plages. Et refaire exactement le même parcours.
Le soleil commence à se lever, mais il fait encore bien sombre
Et les 2 spots sur les rives sont encore allumés. J’arrive donc à m’orienter assez facilement, malgré ma vue obstruée. Même si je dois m’arrêter de temps en temps pour essayer de nettoyer mes verres…
Encore du temps bêtement gâché…
J’arrive enfin sur cette plage, mais je sens que je n’ai pas nagé si droit que cela. Un gars devant moi — appelons-le Bernard pour la suite de l’aventure — sors de l’eau jute devant moi, et nous traversons le pont ensemble.
J’essaye quand même de trotter. Je glisse, et je me retrouve sur un pédalo.
Pierre Richard, sort de ce corps s’il te plait…
J’ai quand même le temps d’entendre la speakerine (Vicky, la même qu’on retrouve sur toutes les épreuves du sud) annoncer “Voilà messieurs, on marche, très bien, vous êtes sages, l’épreuve est encore longue”. Je ne sais pas comment il faut prendre cette remarque…
Bon — d’un autre côté — je devrais plutôt me réjouir d’être là.
Bref, je retourne dans l’eau, cette fois sans problèmes !
Le soleil fait progressivement son apparition
Et j’arrive à optimiser ma glisse. Cela va faire 2km que je nage, forcément, on sent mieux les choses. Mes mouvements sont plus fluides, droit comme un I je glisse mieux. Je le sais, je le sens. Petit coup au moral quand même : je vois quelques leaders de l’autre côté, en train de — déjà — finir l’épreuve de natation !
De mon côté, je rattrape 2/3 nageurs, qui nagent encore moins droit que moi. Puis, je vise correctement la première bouée des 850m cette fois, ainsi que la seconde. Reste à revenir sur la plage.
Et là, j’avoue… j’en ai marre.
C’est long, c’est lent.
En plus le soleil est dans la ligne de l’horizon, et à chaque respiration à droite je me le prends en pleine face. Mais je ne veux pas me créer un changement de nage ou de respiration pour ces dernières centaines de mètres, alors je me mets à fermer les yeux à chaque respiration, que je continue à effectuer à droite.
Et du coup, je galère à viser droit, à m’orienter. Je sens bien que cette dernière portion est moins fluide qu’il y a 15/20 minutes. Mais tant pis, j’essaye déjà de penser à l’après : le vélo, et ses 200km qui m’attendent…
Et quelques minutes plus tard, ça y’est, je sors de l’eau !!
Je viens de nager pour la première fois de ma vie une distance supérieure à 1900m : 3800m. Voire, certainement 4000m vu mes zigzags.
Il n’empêche… Il fait beau.
La confiance revient.
Quelques bravos des derniers supporters, et je commence à courir vers la zone de transition, en direction du parc à vélos.
Temps écoulé : 1h40. Un chrono à ch*** et simplement 20 min d’avance sur la barrière horaire :/
Première transition
Je me change en environ 10 minutes. Comme sur l’Alpe d’Huez il y a 2 ans, j’ai fait le choix de ne pas utiliser de trifonction, mais un vrai cuissard Castelli bien confortable. Alors ma transition se déroule comme je l’avais prévue : changement total de tenue. Puis j’enlève mes lentilles, et je mets mes lunettes de vélo à ma vue.
Je sais que je ne supporterai pas les lentilles plusieurs heures, alors j’ai choisi les lentilles uniquement pour la natation. Mais les lunettes pour tout le reste de la course.
Je bois une gorgée d’iso, je mange un petit wrap au poulet, des petites tomates cerises… Et c’est parti !
Vélo — part 1
Comme durant ma course à l’Alpe d’Huez il y a 2 ans ou à Cannes il y a 4 ans, je me dis que je vais remonter directement quelques concurrents. Et c’est le cas !
Sur les premiers km, je passe très facilement env. 10 concurrents directs. Le 1er Col de la Quillane (5km à 3,7% moy. col de 4e catégorie) en sortie du lac de Matemale est une formalité : je suis sur mon grand plateau 52 dents, et en 34 dents à l’arrière. Et je mouline facilement, sans efforts.
Puis une zone plate. Où je profite de mon mini cintre TT pour gratter quelques secondes supplémentaires. Au bout de la Nationale, un bénévole nous fait signe : il faut tirer à gauche pour rejoindre le 2nd col de l’épreuve : le Col de la Llose (3km à 5,1% / col de 3e catégorie).
Drôle de nom ce col…
Désormais, les voitures se font très rares. Et c’est parti pour cette 2nde ascension : idem, toujours en moulinant, sans effort, en restant sur mon grand plateau. Ces 3 kilomètres sont rapidement avalés, et en haut du col — on est au 11e km de course, je suis en totale confiance.
Pas de zone de ravitaillement à cet endroit, on enchaine immédiatement sur une belle descente d’environ 12/13km.
Je visais 23km’h de moyenne sur tout le parcours vélo. Alors pour tenir cet objectif, je dois profiter de pousser un maximum dans les descentes.
Pour tenir mon objectif, j’ai d’abord cherché à baisser mon poids ces dernières semaines. Passé de 77kg à 73kg, j’ai économisé 4 kg — même si je visais 69/70kg. Puis, j’ai aussi optimisé mon vélo, avec notamment des chambres à air de type tubolito, de chez Pirelli. Et je les ai protégées par un nouveau fond de jante, pour réduire la probabilité de crevaisons dues aux rayons. Mon vélo, malgré les outils, le matériel électronique embarqué, et les gourdes sera donc à 9,4kg. Régulièrement soumis aux douleurs dorsales, j’ai aussi effectué un nouveau réglage de selle : plus basse, de sorte à ce que mon dos soit moins voûté que d’habitude.
A ce stade de la course, je suis vraiment en confiance totale
Alors que la route est très escarpée et dangereuse. On est sur des chemins de haute montagne vertigineux. J’avais équipé mon vélo de pneus neufs Continental GrandPrix 4 qui grippent bien. Des jantes Mavic spéciales Montagne. Mes freins à patin sont nickels. Il ne me reste plus qu’à bien travailler mes trajectoires. En veillant toujours à bien rester sur la voie de droite. Des véhicules peuvent arriver en contre-sens n’importe où, il faut rester vigilant car les routes n’ont pas été fermées pour l’occasion.
Je fais de belles pointes vers les 60km’h
Et ce, malgré la difficulté du parcours. Au point que j’arrive à distancer 2 cyclistes — dont un gars que j’appelerai l’Espagnol pour la suite de cette aventure, du fait des couleurs de son maillot — que j’ai repris au sommet du col.
Puis un véhicule me gène…
Je le colle, et je suis obligé de gueuler pour qu’il me laisse passer.
Pardon Monsieur — qui a dû me prendre pour un c**n**d… Mais l’excès de confiance, la barrière horaire et l’effervescence de la course… Bref :/
Le parcours est sompteux, on se retrouve en bas des montagnes, à passer sur des petits ponts, et des chemins très étroits. C’est très vert, les décors me font penser à La Réunion et à Cilaos.
Puis, c’est reparti pour une belle montée en direction du Col de Creu (col de 1ère catégorie : 13,7km à 4,8%). Je rejoins de plus en plus de cyclistes, dont un trio d’Anglais.
Là, c’est un peu plus difficile par moment, avant quelques petits murs bien raides. L’ascension est un peu plus longue et pénible que les 2 premiers cols. Alors, je commence déjà à rentrer en mode “réserve”. Le mot “Marathon” n’arrête pas de résonner dans ma tête… Car je ne veux pas marcher durant cette 3e épreuve, mais bien courir. Et continuer à reprendre des positions perdues en natation même en fin de course.
Mais c’est encore loin… d’où la raison de se ménager !
D’ailleurs, la phrase de Mark Allen (merci Eric pour le rappel ;) fera son cheminement ici : “Le secret, c’est de manger sur le vélo”. Du coup, je n’arrête pas de m’alimenter depuis le début. Comme durant un ultra-trail : petites tomates cerises, petites pommes de terre, des bonbons de Vichy, etc. Sans oublier mes boissons : de l’eau, de l’iso, que je bois en petites gorgées. Et en alternance.
L’ascension se déroule correctement. Je lâche parfois un peu de lest, car je prends cette ascension comme un échauffement pour la grosse ascension qui nous attend ensuite : celle du Port de Pailhères.
Arrivée en haut du col — 39e km de course, pas de ravitaillement. Alors j’enchaine immédiatement la descente de 3k, sur une route plus large que tout à l’heure. Et je recommence mon petit jeu de vitesse, en passant d’autres coureurs dans les descentes.
Je me surprends moi-même à être capable de faire ça… En y réflechissant, je reprends des coureurs en grimpant et en descendant. C’est bon pour le mental ! J’y prends beaucoup de plaisir, la situation s’annonce bien.
Psychologiquement, on est loin du départ catastrophique en natation…
La descente se poursuit jusqu’à Matemale au 42e km, de retour à notre point de départ face au Lac. Où un petit ravito nous attend : j’ai encore de quoi manger, par contre je suis à sec côté boissons. Le temps de recharger les gourdes… Et c’est parti pour la jonction qui nous emmène vers la 2nd grand partie de la course !
Vélo — part 2
En sortant de Matemale, un long faux-plat descendant — malgré tout jalonné de petites bosses — nous emmène durant 25 kilomètres environ en direction des hautes montagnes vers le Nord-Est des Pyrénées. A nouveau, je profite de mon appendice TT pour gagner en vitesse sur cette portion. Et reprendre d’autres concurrents.
Dont une femme (aka Miss Lady) qui me semble très âgée. Le genre de personne qui m’épate et m’inspire sur ce genre d’épreuves…
On passe par un petit village : Formiguères, où un festival doit avoir lieu. Festival qui a poussé l’organisateur de l’Altriman à ajouter 10 minutes sur la barrière horaire du vélo (passant d’une deadline de 19h00 à 19h10), pour nous permettre de traverser la zone lentement, en toute sécurité. Pour le moment, le festival n’avait pas encore commencé. Donc ces 10 minutes nous sont tout simplement offertes, en quelque sorte.
Cette longue descente peut sembler facile
Mais quand on est en mode course, les dangers sont partout : il faut constamment rester vigilant sur les ornières, le trafic. Et rester en alerte pour passer les virages en aveugle en toute sécurité. D’autant que j’ai atteint des pointes à 70km’h — et même s’ils vont encore plus vite sur le Tour de France sur routes fermées — ça reste pas mal à mon niveau, sur routes ouvertes.
Toute cette jolie voie nous emmène à 70km du point de départ, au pied de l’ascension du fameux Col de Pailhères : un col “Hors Catégorie” de 16km d’ascension à 7,7% en moyenne.
Durant l’ascension, on va d’abord passer par Mijanès — 74e km de course, un village situé à 3/4 kilomètres à mi-parcours. Et surtout, y retrouver un de nos sacs de ravitaillement qu’on a pu déposer le matin-même à l’organisateur.
Lors de l’Alpe d’Huez, je n’avais pas profité de cette option de sac de ravitaillement perso. Mais sur un format de course de type ironman, je me dis qu’il vaut mieux ne pas avoir une alimentation hasardeuse. Ainsi, dans mes sacs m’attendent de quoi remplir mon vélo et mes poches avec les glucides et les lipides que j’ai prévus.
Pause à Mijanès
Pour avoir étudié le parcours en amont, je sais parfaitement que le Port de Pailhères va être un gros morceau. Encore une fois, le mot “Marathon” résonne en moi, donc je veux absolument passer ce col sans bobo et sans forcer. Pour cette raison, je choisis de rester à Mijanès pour bien me reposer, environ 15/20 minutes.
C’est n’importe quoi avec le recul…
Pourquoi ai-je pris une pause aussi longue ?!
Il n’empêche… En repartant, je me sentais relax physiquement. Je m’étais un peu étiré. J’avais beaucoup bu et m’étais bien alimenté. Sauf qu’entre temps, la quasi totalité des concurrents que j’avais passés depuis le début sont tous repassés devant moi : le Trio d’anglais, Miss Lady. Et même l’Espagnol !…
Au fond de moi, j’étais partagé entre de la rage. Et un “ça va aller”. J’avais quand même l’impression d’avoir perdu tout ce que je m’étais efforcé de gagner ces 2 dernières heures…
L’ascension du Port de Pailhères
Disons-le franchement : je ne sais pas comment aborder un tel col. Soit j’y vais en moulinant “tout à gauche” comme on dit. Donc en 36x34, ce qui est un ratio très “facile”. Alors je mouline tout le temps, et je n’ai pas l’impression d’avancer très vite. Pourtant en moulinant ainsi, je fais quand même grimper le coeur.
Ou bien, je reste sur mon gros plateau en mode 52x34, sur lequel je suis plutôt à l’aise. Mais ici, les pentes sont plus raides. On a des passages entre 11 et 15% si j’en crois ma Garmin. Et là, le ratio est trop dur si on veut s’économiser et viser la durée.
Et surtout, un ennemi pointe son museau… Un ennemi que j’avais complètement oublié en démarrant cette course de nuit : le soleil !
Il est environ midi, et le soleil est bien haut dans le ciel. Il fait déjà u-l-t-r-a chaud. On passe facilement la barre des 40°c. Alors… je choisis une stratégie un peu étrange. Mon manque d’expérience sur ce genre d’épreuve, un manque de confiance en mes compétences — mon manque d’entrainement global aussi — me pousse à faire des pauses régulières tous les 500m, 800m ou 1200m. Donc, je mouline en 52x36. Je vise au loin une zone d’ombre. Je m’y arrête. Je bois de l’eau. Je mange une bricole. Et je repars.
Durant l’opération, les coureurs me reprennent.
Puis je les reprends en moulinant à ma manière. Très facilement d’ailleurs.
Et je m’arrête à nouveau.
Ils me repassent.
Et ce petit cirque va durer la quasi totalité de l’ascension.
Est-ce que cette stratégie me semble bonne ? A l’instant T, oui. Je sais qu’il s’agit de la plus longue et difficile ascension de la course. Avec le recul… je ne sais pas si j’aurais pu faire autrement. Mes séances d’entrainement n’ont quasiment jamais dépassé les 2 heures. Et sur Home-Trainer exclusivement, à simuler l’ascension du Tourmalet par exemple — sur Rouvy. Sauf qu’un exercice court sur Home Trainer -même sur une ascension- ne se vit pas de la même manière que sur le terrain, où le col en question se situe à le 3e heure d’effort, et à 100 kilomètre de la fin de course !
Mon GPS va me permettre malgré tout de mesurer mon effort : j’avoue que l’altimètre intégré dans ma Garmin Edge 1000 est très pratique dans ces conditions ! D’autant que j’avais imprimé le parcours sur mon vélo, je savais donc parfaitement où je me situais. A la fois en altitude, qu’en kilométrage.
Rencontres du 3e type
Sur cette ascension, je vais recroiser l’Espagnol. Puis Bernard. Et un Belge, complètement crampé, dont la pause ressemble à un abandon prématuré. Je suis resté me rafraichir en sa compagnie durant 2/3 minutes, à parler de la Belgique et de Lille, avant de repartir. Et de ne plus jamais le croiser.
Puis… scène incroyable ! Je tombe nez à nez avec… Un groupe d’une quinzaine d’asiatiques. Des retraités me semble t-il. Il me semble bien avoir reconnu des touristes japonais d’ailleurs… Mais que font-ils là ? Ils avaient l’air hébétés avec leurs petits chapeaux de touristes. Pas du tout souriants. Et largués en pleine nature, avec absolument rien autour d’eux ?!…
Comment sont-il arrivés là ?…
Plus loin, un gars, tout seul, tout vêtu de bleu de la casquette aux chaussures, en train de gueuler “Allez, Allez” sur le bord de la route. Pile au moment où je revenais à nouveau sur l’Espagnol.
Et subitement, caché derrière un arbre, on arrive sur le virage serré qui nous amène sur la suite de l’ascension : un car est planté en plein milieu de la route !!! Un car, planté, là, en pleine haute montagne. Le genre de chose qui arrive en hiver. Mais là ?…. Il est toujours sur la route, mais j’imagine que le chauffeur aura tenter d’amorcer le virage trop vite. De manière à ce que le bus s’est retrouvé face au vide. Et le petit muret face à lui, l’empêche de finir son virage. Il ne peut plus reculer non plus. Voilà voilà… Du grand n’importe quoi.
Fin de l’ascension et direction le Col du Pradel
Après ces quelques scènes surréalistes, on atteint enfin les sommets du col. L’atmosphère se rafraichit un peu, des nuages passent devant le soleil aussi. Mes gourdes sont à sec depuis un moment déjà.
Malgré mes pauses, j’ai mal un peu partout. Aurais-je dû monter plus vite ? Aurais-je dû monter sans pause ? Aurais-je dû équiper mon vélo d’une 3e gourde ? Ai-je fais des erreurs de braquets ? Est-ce une histoire d’entrainement ?… Je ne sais pas.
Une chose est sûre, j’ai laissé des plumes sur cette portion.
En arrivant en haut, une petit table avec des boissons et du solide nous attendent. Une belle mais courte descente nous est ensuite proposée, donc je ne tarde pas cette fois. D’autant que je n’ai pas repris ni le Trio d’Anglais, ni Miss Lady. Et l’Espagnol vient déjà de repartir.
Je sais que le vent de la descente va me rafraichir. Une descente rapide — à nouveau 70km’h en Vmax, et des véhicules me laissent passer. Mais trop courte à mon goût (10km) nous emmène au pied d’une nouvelle ascension, presqu’aussi difficile que celle du Port de Pailhères.
Le Col du Pradel 7km à 7,8% — cat 1.
La chaleur est accablante. Je sues à très grosses gouttes. Et je recommence mon manège de moulinage, pause à l’ombre, etc.
L’Espagnol — qui n’est pas du tout espagnol en fait — va même me glisser un “Le Lièvre et la Tortue” en nous comparant tous les deux.
Il n’a pas tellement tort… D’autant que lui — spoiler alert — il va la finir cette course !
Sur cette portion, je croise Bernard. Puis l’Espagnol. Je fais ma mini pause. Puis je recroise Bernard. Puis l’Espagnol. Et ainsi de suite. Cette ascension va s’avérer très pénible.
Vraiment très très pénible.
Après le Col de Pailhères, cette nouvelle ascension bien raide — et sous un soleil de plomb — assèche encore plus vite les gourdes et les organismes.
Il fait vraiment trop chaud.
Et je n’arrête pas de me poser la question de comment gérer mon effort. Je n’arrive pas à mouliner à leur vitesse. Mais en même temps, il ne faut pas aller trop vite et savoir se ménager. Cela n’a l’air rien comme ça, mais je me demande encore — à l’heure de cette écriture — si je ne manque juste pas d’entrainement long pour mieux appréhender ce genre d’épreuves.
Il n’empêche, c’est durant cette ascension que je passe la barre des 100km parcourus. Géographiquement, j’en suis donc à la moitié de l’épreuve. Mais je sais que les cols les plus difficiles sont derrière moi. Hormis une dernière grosse ascension avant un autre jalon au km 154 — qui marquera la zone de récupération du 2nd sac de ravitaillement à Roquefort de Sault.
La seconde partie de l’épreuve devrait donc bien se dérouler.
Début d’un gros torticolis
Une fois arrivé en haut du col du Pradel — après avoir créé un bouchon derrière moi, car plusieurs véhicules montaient le col aussi. Mais la route est étroite. Et votre serviteur n’aime pas les voitures dans ces endroits-là ;) — mon soupir de soulagement n’est que de courte durée : aucune zone de ravitaillement n’y est installée. Aucun arbre et aucune zone d’ombre non plus. Le haut de cette montagne s’apparente à un plateau, le vent y est rare.
J’arrive néanmoins à me tirer jusqu’à un bosquet. Où je descends de mon vélo cette fois, pour reprendre mes esprits.
Une ambulance attend là. Mais le gars n’a pas d’eau — comment est-ce possible ?…
Un coureur arrive, et me rejoint au même endroit pour se reposer aussi. Je repars quelques minutes après, et entame cette nouvelle descente en direction de Belfort-sur-Rebenty.
Sauf que… la fatigue, le manque d’eau, et le cou bien penché à l’avant dans les descentes m’aura créé un gentil torticolis… Du coup, les descentes deviennent de plus en plus pénibles maintenant. Je dois rester plus raide sur ma selle, ce qui n’est pas très confortable.
Et un poil plus dangereux.
D’autant que cette descente — qui aurait dû être un moment de répit — dure 18km sur 800m de dénivelé négatif. Là, je commence à avoir les yeux rivés sur l’heure.
J’ai fait trop de pauses, et je n’avance plus aussi vite dans les descentes. Il ne me reste plus que quelques heures encore avant la barrière horaire.
Mais les 2 cols grimpés ces 3/4 dernières heures m’ont marqué physiquement…
J’arrive finalement au ravito de Belfort-sur-Rebenty, au 121ekm. Enfin, je vais pouvoir boire de l’eau !!! Je m’arrête donc pour m’alimenter, alterner les boissons eau, iso et coca (que je coupe à l’eau). Et m’étirer un peu le haut du dos.
Un gars à côté de moi est à la limite de s’écrouler, il est tout crampé. Appelons-le “Le Mystificateur” pour la suite de cette aventure ;)
Et tout à coup, l’ambulance arrive, et en descend un coureur sur un brancard. Je le reconnais : c’est mon voisin de chambrée, au village des Angles. Je vais le voir pour prendre des nouvelles. Il est entouré de sa famille, et me raconte une grosse chute à vélo. Tombé sur la tête, il voyait des petites étoiles partout… Bref, sa course s’arrête là.
Désolé pour lui…
Je finis de reprendre des forces, et je repars
Bernard n’est pas encore reparti, le Mystificateur non plus. Malgré la difficulté du parcours, je dois avouer une chose : l’environnement est splendide. On passe sous des arches naturelles, des préaux creusés dans la roche — comme on en trouve aussi en Côte d’Azur.
Puis, ça grimpe à nouveau jusqu’au Col d’Aunat 10km à 3,4% cat. 2. Le col est moins hard qu’avant, ça va mieux.
Malgré la fatigue.
Et cette grosse chaleur !
Je me fais rejoindre par Bernard, et on entame la nouvelle descente ensemble jusqu’au pied du prochain col. Environ 15 kilomètres bien pénibles avec ce fichu torticolis. Conséquence directe : Bernard me largue en descente.
D’autant qu’il y a pas mal de trafic, des campings cars, des motos… Il faut donc rester sur ses gardes et faire très attention.
Soudain, Bernard s’arrête dans un virage. Il m’attendait car il pensait s’être trompé de route. On poursuit ainsi dans l’hésitation sur 2/3 kilomètres, pour retrouver notre amie l’ambulance.
Et entamer un nouveau col.
Le Col du Garavel
On est aux environ du 145e kilomètre.
Et là, je vois un nouveau mur se dresser devant moi.
La chaleur, la fatigue… Tout ça commence à me taper sur le système.
Bernard avance, je suis à la traine.
Mais je n’y arrive plus.
J’ai l’impression que ça ne finira jamais. La route est vraiment raide en ce début d’ascension, quelque chose comme 11%. Et je commence à avoir très mal à la tête.
Bernard ne craque pas.
Je le suis, je me force à avancer. Mais je vois comme des petites étoiles.
J’ai mal au crâne.
Je distingue un banc. Alors je m’arrête, je m’assieds. A l’ombre.
Bernard s’envole.
Je n’ai pas envie de vomir, mais je ne suis juste pas bien.
Je me force toujours à manger alors que je n’ai pas la sensation d’avoir faim.
Et je bois, par petites gorgées.
Quelques minutes auparavant, ma Garmin a commencé à me lâcher, en fin de batterie. Rapidement, je me retrouve seul. Et dans l’impossibilité de savoir exactement où je me situe, ni quel effort je dois encore produire…
Bref… Je veux repartir.
Mais là…
Je craque…
Le mur du 150e kilomètre
On doit être au 148e, 149ekm… mais sans ma Garmin, je n’ai plus d’info sur la distance, ni sur l’altitude. Et ça m’agace.
1, 2… Puis 3 gars me passent…
J’ai perdu bcp de places à Mijanès, pensant reprendre tout ce beau monde en prenant une vraie pause. Au final, je n’ai repris personne, car j’ai cherché à modérer mon effort.
Et malgré tout, je n’ai plus de force du tout…
Fais ch***
Abandonner, c’est facile
Là, le cheminement dans ma tête se résume par… un abandon ? Est-ce que j’ai envie d’abandonner ? Non, sûrement pas. Mais là, je suis dégoûté, épuisé, plus envie. Et l’impression d’être tellement sous-entrainé et de toujours devoir en garder sous le pied pendant l’épreuve…
Bref, ça me saoule.
Alors, j’avance quand même, tel un zombie
Mais je marche à côté de mon vélo, en cherchant les zones d’ombre pour m’aérer.
Je suis pitoyable…
Une vingtaine de minutes plus tard, l’ambulance du parcours descend le col et arrive à ma hauteur. Je leur fais signe de s’arrêter. Et ils me prennent en charge. Je leur dis que je vais abandonner. Là ça ne sert plus à rien, je dois être dernier en plus.
La barrière horaire me semble innatteignable maintenant.
Et puis, je dois avoir une insolation, car j’ai très mal à la tête.
Est-ce bien raisonnable de forcer dans ces moments-là ?
Les 2 ambulanciers me mettent sur un brancard — malgré mes protestations, je leur dis que je ne suis pas non plus complètement HS :) Puis ils démontent mon vélo pour le ranger. Et le médecin prend ma tension — faible mais ok. Et me font une prise de glycémie. Tout est normal, mais je suis un peu juste … Pas en forme du tout quoi… Complètement assêché, j’ai juste besoin de beaucoup d’eau !
Alors, ils m’emmènent en haut du col.
Il devait simplement rester 2 kilomètres…
Arrivée en mode brancard
J’arrive en haut, on est au 152e km à Roquefort de Sault. Tel un handicapé, ils me sortent du brancard, et me déposent.
J’annonce que j’abandonne.
Je mange, je bois, je reprends des forces.
Tout ça me parait tellement… absurde !…
Je me pose par terre, à même le sol brûlant. Et une bénévole me propose un doliprane — ce qui ravive un fort souvenir lors de l’Ultra Marin, l’année précédente). Bernard est là, et mange tranquillement un club sandwich. Et on m’annonce que je peux aller me reposer dans la grande salle des fêtes juste en face.
Un vrai vent de fraîcheur et d’ombre !!!!
J’emprunte même le téléphone d’un bénévole pour appeler ma femme. Et lui annoncer mon abandon.
Je pleure…
Et je raccroche.
Et j’attends la voiture balai pour rentrer à Les Angles.
C’est nul…
Retournement de cerveau
Là, je recroise Le Mystificateur, qui arrive 15/20 minutes plus tard. Je suis très surpris de le voir car il avait de très grosses crampes.
Je lui annonce ma mésaventure.
Et que j’arrête.
Et il se fiche de moi… “T’as encore ton dossard, et ton bipeur au pied ?! Bah… vas-y, remplis tes gourdes, t’arrête pas, repars !”…
Il m’a retourné le cerveau celui-là…
Je connais le règlement. Je sais bien qu’une assistance — et encore moins celle de l’ambulance de l’organisation — est interdite. Et synonyme d’abandon/disqualification.
Du coup… il me fait douter. En effet pourquoi personne n’a pris ni mon dossard, ni mon bipeur ?
Alors, je retourne voir les bénévoles. Et parmi eux un gars qui semble être responsable de la course. Je leur annonce clairement la situation : “Voilà, l’ambulance m’a récupéré sur la route. J’abandonnais, car mal à la tête. Et là… je me dis que je peux quand même tenter de repartir… Est-ce que je peux ou c’est clairement fini ?” Les bénévoles sourient. Et l’un d’eux me lance : “Boarf… l’ambulance vous a récupéré à 300 mètres c’est ça ? Allez, on va dire que c’est ça. Donc, on n’a rien vu. Allez-y, on dira rien”…
Sérieusement ?…
Là, dans ma tête c’est juste le bordel :
- J’ai pleuré au téléphone il y a quelques minutes parce que j’abandonnais ;
- Je n’ai pas de bobo sérieux, hormis l’insolation ;
- J’ai pu m’alimenter et boire. Et surtout me mettre un peu à l’ombre.
Malgré tout ça, la barrière horaire me semble hors de portée. Ou tout juste. Il me reste environ 45 kilomètre à parcourir, en moins de 2h30. ça n’a l’air de rien, mais avec les montées restantes, mon torcolis, la fatigue…
Et cette impression de tricher puisque l’ambulance m’a récupéré…
Finalement, je me décide : je repars.
Le ravito est rempli de zombies qui attendent la voiture balai. Mais je ne vois plus l’Espagnol. Quant à Miss Lady, et le Trio d’Anglais, n’en parlons même pas.
Je sors de la zone sous les encouragements des bénévoles. Et en termine avec l’ascension des 5 derniers kilomètres du col du Garavel — cat. 1 à 5,8%.
Arrivé en haut du col, je recroise l’ambulance. Je leur fais signe, et leur cries “J’ai pu repartir, merci pour tout à l’heure !”. Encore une fois, j’ai bien conscience d’être plus que borderline par rapport au règlement de l’épreuve…
Dans ma tête, je me projette déjà : “Si j’arrive au bout de l’épreuve, et qu’on me remet la médaille de finisher, j’annoncerai la refuser car je ne l’aurai pas vraiment méritée.”
Bref… on n’y est pas encore…
Nouveau problème technique
Durant cette ascension, un nouveau problème technique a fait son apparition : les cales de mes chaussures ne s’accrochent plus correctement aux pédales.
Le temps de m’arrêter et de constater le problème : en marchant tout à l’heure sous le cagnard, j’ai tapé sur les embouts de mes cales.
Et elles se sont abimées.
De ce fait, elles se sont déformées.
Et ne peuvent plus s’encastrer dans les orifices de mes pédales.
Lors de cette ascension, j’ai donc fait attention à ne pas trop bouger mes pieds, même si mon pied droit s’était déchaussé plusieurs fois déjà.
Et au moment d’entamer la petite descente en direction de Carcanières, je dois redoubler de vigilance. Torticolis, pieds qui déchaussent, et fatigue… Et l’épée de Damoclès qu’est cette fichue barrière horaire me rendent fébril.
165e km — Col (ultra raide) de Carcanières
Nouvelle grosse et dernière ascension : la Côte de Carcanières. 3km à 9,3% cat. 1. Je lâche un concurrent resté au pied de cette ascension, complètement HS.
Je me reconnais en lui. Mais mon cerveau a switché, je suis passé en mode lâche-rien. Enfin, un lâche-rien fatigué, extenué, et qui en a marre de cette chaleur et de tout ça. Mais un lâche-rien quand même.
Je commence à grimper.
Et l’ambulance arrive à ma hauteur, le médecin baisse sa vitre : “C’est vous qu’on a ramassé tout à l’heure ? Vous aviez abandonné, non ?!” Je lui explique avoir été en parler aux bénévoles, qui m’ont autorisé à repartir. Mais que mon honneteté sur ce qui s’est passé m’oblige à être transparent avec les organisateurs officiels, si j’arrive au bout. Ce qui n’est pas gagné, mais limite jouable encore… “Bon, moi je m’en fous hein, mais bon…”
OK, compris le message, Doc.
Ce n’est pas la règle, ce n’est pas fair-play.
A ce moment-là, je me dis quand même qu’avec une telle chaleur, les organisateurs n’auraient-il pas du ajouter des zones d’eau sur le parcours ? Plusieurs gros cols sans ravitos en haut, dans des zones complètement exposées au soleil, n’est-ce pas un peu jouer avec la santé des coureurs ?… Ou indiquer dans le règlement qu’il faut s’équiper de 2 litres d’eau minimum ?
Lors de l’Ultra trail des Monts de Flandres 2018, les organisateurs avaient ajouté plusieurs stands d’eau sur le parcours. Pour éviter les manques d’hydratation justement.
Bref… Sa remarque m’éfleure. Mais je me dis qu’il faut que j’avance quoi qu’il en pense…
Alors je continue…
Quelques minutes plus tard, un véhicule s’approche.
Il s’agit d’une des 3 voitures balais. Qui s’arrête à mon niveau. Je ne sais pas si je peux continuer à avancer ou s’il doit me récupérer… Son véhicule est déjà rempli de coureurs et de vélos, et m’indique que les autres voitures balais arrivent. Et avant de reprendre sa route, le gars me donne de l’eau.
Beaucoup d’eau !!
Du coup, je retrouve un semblant de force et j’arrive à terminer cette ascension jusqu’au point suivant.
Arrrivée à Querigut, 172km
Arrivé dans le village, je suis en mode très très enervé.
Mes cales ne fonctionnent plus très bien, mes pieds glissent régulièrement, c’est dangereux, je suis fatigué… Aaaahhhhh !!!!… C’est exactement ainsi que je vais crier en arrivant dans le village, avec une belle côte en entrée de la ville. Et que je vais attaquer comme un débile mental à plus de 800 watts. Un petit public va même m’applaudir pour la performance.
Mais je suis en mode sociopathe, le regard dans le vide.
Et je les ignore…
Je roule ainsi quelques mètres jusqu’au dernier ravito avant l’arrivée de cette course.
Ma Garmin est off. Mais pas ma montre : je vois l’heure, et je me dis qu’il y a encore moyen d’aller chercher le marathon.
Mais ma tête est en plein bordel : entre l’assistance de l’ambulance, ma fatigue, le stress de cette barrière horaire, le torticolis, et ces *?!* de pédales qui ne fonctionnent plus…
Toutes ces contraintes me rendent hésitant sur la suite à donner.
Mais le stand de Querigut est rempli d’autres zombies qui attendent la voiture balai. Et ça m’agace de voir tous ces gens abandonnner.
Alors… juste le temps de remplir mes gourdes, je repars.
Fin de parcours, retour à Matemale
Mais comme je n’ai plus ni d’altimètre, ni de GPS — ma montre n’était pas activée, erreur de manip — je ne sais plus très bien où je me situe…
La sortie du ravito se résume par une très grosse ascension de 15/20 mètres, que j’attaque comme un couillon. Une fois en haut je distingue ce qui m’attend : une longue ascension qui bifurque à droite.
Cette vue me casse le moral.
On dit souvent que c’est 80% dans la tête et 20% les jambes qui nous guident sur ce genre d’épreuve. Mais là c’est plutôt du 50/50. Et puis il est déjà bien passé 18h00, il reste moins d’1 heure pour parvenir à rallier l’arrivée dans les temps.
L’épuisement général + ce problème technique au niveau des pédales + le ras le bol de grimper sans cesse des cols sans en voir le bout…
Je vais passer un bon moment, quoi :)
Et puis au bout d’1 simple petit kilomètre environ, je craque.
Ras le bol, j’en ai juste marre de lutter.
Je m’assieds.
Et puis 2/3 secondes après, je veux me frapper pour ce comportement lâche. Alors je m’y remets.
Une sorte d’Ange/Démon a pris le contrôle de ma tête
Puis, je me retrouve à remarcher près de mon vélo, très énervé.
Quand soudain, une petite Twingo s’arrête à mon niveau. Et une femme me tend des abricots tout frais : “Je viens de les cueillir dans mon jardin, ça devrait vous servir !” Waaaaahhh, c’est tellement génial quand ça arrive de nulle part, “Merci Madame !”
J’essaye de repartir, mais je n’y arrive plus.
Je remarche.
Mais je ne veux plus casser mes cales.
Alors, je me déchausse, et je marche pieds nus.
Quelques mètres plus loin, c’est beaucoup plus douloureux que je ne l’aurais cru, alors je remets mes chaussures.
Bon… là, ça devient vraiment du n’importe quoi. Je vois l’heure, il est bientôt 19h00. J’ai le sentiment d’avoir gâché mes chances en passant totalement à côté de cette fin de parcours.
Puis, une camionnette me passe et s’arrête. Un autre concurrent — le 110 — est accompagné par sa femme et ses enfants. Leur soutien pour leur mari/papa me fait penser aux miens restés en Bretagne. Alors, je remonte sur la selle à mon tour. Et j’arriverai à finir ce col sur mon 52 dents du début. Pour enchainer ensuite la descente — dangereuse avec ces *?!* pédales.
La barrière horaire, c’est mort :/
Quelques kilomètres plus loin, je croise les voitures balais rangées sur le côté de la route. Et des bénévoles qui s’approchent pour me féliciter chaudement, le 110 et moi-même. La barrière horaire, c’est mort. Mais au moins, je pourrai dire que je serai allé au bout de la natation & du vélo.
Je largue le 110 — complètement cramé. La route redevient plate, on refait le parcours inverse pour rejoindre le Lac de Matemale. On repasse par Formiguères et son festival. Les derniers kilomètres sont faciles et rapides.
Même si encore et toujours ces *?!* pédales qui me font perdre l’équilibre…
Et puis, c’est enfin l’arrivée vers 19h35 à la zone de transition, ratée pour simplement 25 minutes…
C’est tellement dommage…
Les bénévoles m’accueillent avec sourire. Malgré ma situation pénible sur le plan sportif. Le temps d’échanger quelques amabilités, de reprendre des forces, je vais poser mon vélo sur la zone de transition pour aller récupérer ma voiture garée à 2 kilomètres de là.
Et je vais y aller en courant, histoire de me prouver que j’avais encore de la force pour la course à pieds !!
THE END
J’ai donc participé à ce qu’on pourrait appeler un ironman de montagne.
J’ai tenté.
Et j’ai perdu.
Enfin, pas complètement perdu.
Certes, je ne suis pas finisher de la course complète.
Mais cette épreuve sportive me fait penser à celle d’un Niki Lauda, que certains connaissent pour son grave accident de 1976. Ce gars-là a gravi les échélons jusqu’en Formule 1 — en s’endettant sur le dos de son grand-père. Mais à chaque fois qu’il passait à l’échelon supérieur (Formule Vee, F3, F2), il n’avait rien prouvé. Ni gagné. Voire même pire. Mais il considérait qu’il avait suffisamment appris dans l’année écoulée pour passer au stade supérieur.
J’aime cette manière de penser : refaire la même chose pour confirmer que tu feras mieux OU tenter quelque chose de plus difficile. Je préfère la 2nde option, car j’ai l’intime conviction que c’est comme ça qu’on progresse.
J’ai beaucoup appris durant cette épreuve.
Sur moi-même, sur l’approche sportive globale.
Et sur mes qualités et sur mes lacunes.
Alors, encore plus cette fois que d’habitude : #NeverGiveUp
#ViveLeSport