J’ai survécu à l’enfer — Diagonale des Fous 2024

David Desrousseaux
67 min readNov 3, 2024

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5 ans après mes abandons consécutifs sur blessures au Trail de Bourbon 2018 (tendinite) et sur la Diagonale des Fous 2019 (entorse), mes aventures avaient un goût d’inachevé.

Et pourtant, fin 2023, on se décide de retourner voir la famille et permettre à nos enfants de (re)découvrir l’île de ma chérie. Alors… il me fallait forcément profiter de ce déplacement et re-tenter une inscription à la Diagonale des Fous !

D’autant qu’en 2024, le parcours de la Diag est le plus long de son histoire : au programme, 175 kilomètres et 10150 mètres de dénivelé positif. Et le retour de l’ascension du Maïdo après quelques années sans ce passage mythique.

Du lourd…

Le parcours 2024

Janvier 2024, confirmation : je suis tiré au sort !

Il me faut alors justifier de courses intermédiaires pour valider mon inscription : mes participations à la TKB 66 2024 et au Trail de Guerlédan 65km feront le job. Puis, certificat médical. Et réalisation de nouvelles semelles orthopédiques — chez Josselin BELARD DU PLANTYS à Bignan — me permettront d’envisager une meilleure conclusion à cette nouvelle aventure sportive.

Courant Août 2024, j’ai réussi à devenir finisher de l’Embrunman. 2 mois tout rond me séparaient de la Diagonale des Fous — alias le Grand Raid de la Réunion. Sauf que… Même si j’ai rapidement repris la course à pied, mon plan d’entrainement va vite tomber à l’eau : une infection urinaire m’imposant des antibiotiques va mettre un coup d’arrêt brutal à toute ma préparation. 15 jours d’antibiotiques avec une seule petite séance de musculation du haut du corps. Puis une lente reprise la semaine suivante pour ne pas abimer mes tendons d’achille. Et je me retrouve alors fin Septembre au point 0.

Mais mes précédentes expériences sur les parcours réunionnais m’ont appris une chose : il est plus important d’avoir des muscles solides et endurants que de courir pour courir. Les parcours seront traumatisants. Et ce ne sont pas quelques sorties en endurance fondamentale qui vont m’aider à devenir finisher.

Une préparation à ch***

Pourtant, après les antibiotiques, il va bien falloir que je fasse quelque chose. Alors, j’ai un peu couru, mais sans chercher l’excès. Histoire de me rassurer un peu. Mais le temps venant à manquer— comme d’habitude, je me suis surtout focalisé sur du renforcement musculaire et de la proprioception.

Et quelques trop rares sorties longues de course à pied…

Voici un schéma entre les semaines 34 et 42 (semaine du Grand Raid) qui résume tout cela. Par heure consacrée par sport, et par semaine.

Une préparation cahotique.

En 2 mois, j’aurais réussi à faire… bah pas grand chose en fait. Déjà qu’avant Embrunman ce n’était pas brillant. Et sur les 2 mois me séparant de la Diagonale, c’est encore pire puisque je vais me retrouver à moins de 3h de sport hebdomaire en moyenne.

N’importe quoi…

Du coup, je n’ai pas le choix. A nouveau, il va falloir que je trouve des alternatives pour contrecarer mon manque total de préparation. C’est ainsi que je vais me décider à prendre contact avec une nutritionniste — merci Simon ;)

Même si je n’ai jamais vraiment eu de problème pour m’alimenter en trail, j’ai souvent des symptômes de carence — type chute de tension. Et une prise de sang récente m’indique que mes sources en protéines sont plutôt faiblesce qui peut expliquer en partie mes blessures passées. BCAA, collagènes, calcul de protéine, barres Cliff, sodium, magnésium entreront ainsi dans mon nouveau vocabulaire les quelques jours précédents l’épreuve.

J’aurai même conçu tout un fichier avec les apports nutritionnels de mon stock alimentaire. Grosso modo, je vais m’organiser pour surtout m’alimenter en protéine en début de parcours. Et favoriser les glucides plutôt vers la fin. Sans oublier de maintenir un niveau de sodium suffisant tout au long du parcours.

Et c’est ainsi que mal préparé — et un peu angoissé par l’épreuve — que je retire mon dossard le Mercredi, veille du départ.

Stand de bienvenue à l’aéroport, quelques jours avant le retrait de mon dossard 1325.

Jeudi, H-4 avant le départ

Le départ est prévu à 22h. Dès 18h, nous voilà déjà présents à côté de la ligne de départ. Depuis le restaurant Vapiano de St Pierre-La Ravine Blanche, j’ai une vue directe sur les SAS de départ. Ce qui me rassure déjà car la ville est assiegée. Et les bouchons autour de la ville sont déjà immenses.

Jour J sur 1ère Réunion.

Le temps de manger correctement — mais pas trop, sur les conseils de ma nutritionniste — j’ai ainsi le temps de passer un dernier temps en famille. Puis de finaliser tranquillement mon sac de course. Et de dispatcher du matériel (alimentation, chargeurs externes, lampe frontale de secours, etc.) dans les sacs qui nous ont été confiés par les organisateurs. Et qui nous seront remis à 2 points clés du Grand Raid : Cilaos 76km et Ilet Savannah 140km.

Le bordel qu’il va falloir ranger…

Le temps de croiser Patrick Montel — l’auteur du Alors, Peut-être, je quitte les miens 2 heures avant le départ. Pour me reposer un peu avant la première nuit blanche qui se profile…

Pâtes, sacs et eau — ça pourrait faire une comptine, ça :)
Entrée des coureurs.
Dépôt des sacs, pour Cilaos.

Mon indice ITRA — calculé selon mes précédents trails — me place dans le SAS n°3. Sur 4 SAS, je suis donc immédiatement placé vers l’arrière du peloton.

Pas idéal, quand on sait que les premiers kilomètres sont souvent bouchonnés, du fait de l’étroitesse des sentiers…

Cet indice prend en compte mes abandons de 2018 et 2019. Au fond de moi — et malgré le stress qui monte en flèche — je suis donc persuadé que cet indice s’en trouve faussé. D’autant qu’en 2019, en partant quasiment dernier, j’avais remonté 1500 participants sur le premier tiers de la course.

Alors cette année, même si je me sens moins aguerri, j’envisage une course entre 38h et 40h. Le classement ? Je m’en moque. De toutes façons, à part le 1er de la course, nous serons tous aussi anonymes les uns que les autres.

Le principal étant d’aller au bout.

Sans bobos.

Et — si possible — pas trop fatigué.

Une course entre 38h et 40h, cela signifie 2 nuits blanches consécutives. C’est un timing qui me semble réaliste. Et puis une soirée en famille est prévue Samedi soir non loin de l’arrivée, j’aimerais en être !

Je sais bien que ma préparation a été parfaitement lamentable. Mais je sais aussi que le mental est une des causes premières d’abandon sur ce genre d’épreuve. Se persuader qu’on peut le faire malgré tout reste un atout important pour aller au bout.

Une récente interview de Florent Manaudou sur Legend me conforte sur cette approche : il faut se focaliser sur une force pour estimer être globalement supérieur aux autres. Ainsi, les quelques heures passées à muscler le bas du corps et mon dos me donnent les points de mental dont j’ai besoin avant le grand départ.

Ambiance devant les SAS.
Patrick Montel en pleine interview pour Radio Montel.
On attend bien sagement le départ.

Réflexions H-1

Une rapide sieste et un passage éclair aux toilettes, j’ai le temps d’observer un peu l’environnement qui s’offre à moi. Nous sommes quasiment 3000 coureurs — répartis en 4 SAS. Des Réunionnais. Des Français de Métropole. Et quelques internationaux, dont un italien qui fait la queue aux WC avec moi.

Tous semblent en pleine effervescence. Les yeux qui pétillent. L’envie de vivre une expérience intense, d’aller chercher au fond de soi…

Une partie de ma tête pense la même chose. Mais… comme en 2019, ma réflexion est profondément marquée par notre impact environnemental. Sur 3000 personnes, nous sommes environ 2000 à être venus ici en avion. Et rarement seuls. Rien qu’avec les miens, notre bilan carbone s’élève entre 4 tonnes AR x 5 = 20 tonnes de CO2 — si je ne prends en compte que l’avion pour effectuer l’aller-retour Paris-Réunion. En prenant la fourchette basse, je me dis que notre impact s’élève à plusieurs dizaines de milliers de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Et pourtant le GIEC nous indique que chaque tonne de CO2 compte.

D’autant que les organisateurs du Grand Raid ont organisé de nouvelles courses sur le week-end — dont la Métis Trail que je découvre. Nous sommes au total 7000 trailers répartis en 6 ou 7 courses.

Et nous allons parcourir des sentiers somptueux — mais fragiles.

Est-ce bien sérieux tout cela… ?

Quelques jours après la Diagonale, je découvre un manga réunionnais. Qui traite justement de ce sujet — avec humour.

Dans un contexte environnemental que l’on connait, je me dis que l’organisateur devrait avoir une approche beaucoup plus drastique :

  • Pas de création de nouvelles courses comme la Métis Trail ;
  • Interdictions de re-participer si on a déjà fait la course — abandon ou non. Histoire de laisser la place aux autres. Je m’inclus donc dans ce schéma ;
  • Limitation du nombre d’inscriptions à… beaucoup moins ! Le Norseman est un triathlon légendaire, qui limite les inscriptions à 300 places, toutes tirées au sort. Autant dire que peu de gens vont pouvoir s’offrir le luxe de vivre cette aventure. Mais est-ce grave ? Il y a tellement d’autres aventures à vivre…
  • Et écouter ce que des ultra-trailers comme Andy Simonds ou Xavier Thévenard ont à dire cf. Article dans la Voix du Nord (2022)

Certes, il y aurait un manque à gagner économique sur le court terme. Mais c’est toujours le même débat capitalistique : environnement vs. économie.

Bref… Autant le dire, je suis en pleine dissonance cognitive : je suis heureux d’être là sur le plan purement sportif. Encore que je considère cette épreuve non comme une réelle course, mais davantage comme un défi vu son format inhumain. Mais une partie de mon cerveau me dit que je ne devrais pas être là pour toutes les raisons citées…

Mais ces réflexions se retrouvent bousculées car il y a de l’agitation. Les grilles qui séparent nos SAS vont être levées. Et tous les concurrents commencent à se diriger vers la sortie.

Tous devant la grille.

Je ne savais pas trop comment cela allait se passer avec ces SAS. Je m’attendais à un départ en vagues.

Finalement, c’est encore plus simple : les organisateurs choisissent d’ouvrir les SAS dans l’ordre, et de permettre à tout le monde de se regrouper en masse sur la ligne de départ.

Tout se fait finalement dans l’ordre et le respect général. Même s’il y a déjà quelques gentilles bousculades. Car les plus fringuants d’entre nous essayent de se frayer un chemin vers les avant-postes.

Devant nous, le SAS 2 est vide, on va pouvoir s’y engouffrer !
On rejoint la ligne de départ sur l’avenue de Saint-Pierre.

Je fais un peu pareil à vrai dire… L’idée n’étant pas d’aller gratter 1 ou 2 mètres pour mieux finir l’épreuve. C’est surtout que les premiers kilomètres comptent de nombreux sentiers étroits. Et qu’être situé à l’arrière du peloton signifie se retrouver coincé dans des bouchons…

Pas forcément agréable d’un point de vue mental. Surtout avec le jeu des barrières horaires.

Alors, gagner une dizaine de mètres, avec un peloton compact, c’est un gain finalement important, avec peu d’efforts à fournir.

Mathieu Blanchard — LA star de la course — est arrivé juste avant l’ouverture des SAS. Applaudi par les bénévoles et de nombreux concurrents, il a pu rejoindre la ligne départ en première position. Et y retrouver le savoyard Aurélien Dunand-Pallaz, vainqueur de l’édition 2023.

L’arrivée sur la ligne de départ, devant mon Zouzou et ma Zouzoute :)

Les bénévoles se mettent en rang devant notre groupe SAS 3. Et marchent lentement pour nous amener tranquillement derrière les autres trailers, déjà installés sur la ligne de départ.

Je croise les miens une fraction de seconde. Je suis très ému de les voir là. De croiser le regard de mes enfants. Je suis toujours tiraillé par l’ambiance, et l’adrénaline qu’elle procure. Mais aussi le stress. Et le fait de ne pas voir mes enfants durant plusieurs heures.

Ils vont bien me manquer…

L’émotion du départ
A quelques secondes du départ de la Diagonale des Fous 2024.
A droite, la grosse boule blanche, et le plateau de télévision Canal + spéciale Grand Raid.

Sur la grille, l’ambiance est survoltée.

Le speaker nous annonce les choses :

Bon… on va pas se mentir les gars… c’est un chantier auquel vous vous attaquez !

Ça va être long et difficile.

Il va falloir du mental.

Mais on se retrouve à la Redoute !

Départ — Saint-Pierre-La-Ravine-Blanche / 22h

Et quelques secondes après… le départ est donné !

Vu le peloton compact, on avance lentement vers la ligne de départ. Avant de trottiner sur toute l’avenue qui nous sépare de la sortie de Saint-Pierre.

Mais l’ambiance est juste… C‘est dingue !! Comme en 2019, partout des familles, des gens pour nous soutenir. Des mains d’enfants qui sont tendues pour être tapées. Et nous donner du courage. Et tout ça durant 4 à 5 kilomètres, jusqu’aux premiers champs de canne à sucre.

La Diagonale, c’est finalement une grande fête :)

Nos noms étant inscrits sur nos dossards, j’ai régulièrement des “Allez David”. J’ai même eu droit à un “Allez, Lunettes” — vu que j’étais resté en mode binoclard sur ce début de course :D

Au bout de l’avenue, un groupe de bretons avec les drapeaux bretons. Et même un concert de binioù et de bombardes traditionnels !

Puis, en sortant de la ville, on passe sur des ponts. Même les voitures klaxonnent à notre passage pour nous encourager.

C’est vraiment complètement ouf…

Etape #1 — Saint-Pierre → Domaine Vidot

Une vingtaine de minutes après cette folie, retour au calme. Ça y’est, on commence à rentrer dans le dur. On a quitté Saint-Pierre. Et on commence à rentrer dans les champs de canne à sucre, plongés dans l’obscurité.

Tous les coureurs n’allument pas leurs frontales, le parcours est relativement roulant et quelques frontales allumées suffisent pour nous orienter.

Je fais de même — histoire d’économiser mes batteries. On ne sait jamais, car mes lampes m’ont déjà joué de sales tours par le passé…

Domaine Vidot n’est qu’à quelques kilomètres du départ. Et je me souviens qu’il n’y avait pas de difficultés particulières pour cette étape. Mais c’est pourtant dès maintenant il faut commencer à surveiller son énergie, et son alimentation. Boisson iso, barre protéinée, tout y passe.

Autour de moi, j’ai l’impression que tout le monde se connaît. “Hey, t’es là toi ?” — “Oui, et Robert est là aussi ! Mais il est devant, je le laisse à son rythme.”

L’ambiance est très relax. Mais pour ma part, j’ai un petit quelque chose qui… difficile à expliquer. Je n’ai pas l’impression d’être à 100% dans ma course. Entre ma dissonance cognitive, ma préparation zéro, mon repos relatif… je me sens un peu anxieux.

Difficile de donner une seule vraie raison à cette état de pensée. Néanmoins, je n’ai pas l’impression d’être vraiment à ma place. Je ne me rappelle pas d’avoir déjà eu ce sentiment auparavant. Mais je me souviens parfaitement m’être dit dès le début que c’était la dernière fois que je ferais une telle épreuve.

La course n’a pas encore commencée que mon mental n’est pas à son paroxysme en tous cas…

Arrivé à 23h46 à Domaine Vidot, je suis classé 968e / 2939. Le classement n’a aucune importance. Mais il va simplement me permettre de vérifier si mon rythme est constant ou non sur le parcours.

  • 14km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 01h46'38
  • Dénivelé total depuis le départ : 646D+

Par rapport à 2019, j’ai simplement 6 minutes d’avance sur mon horaire passé. Je n’ai pas forcé, alors ces quelques minutes sont les bienvenues sur le reste de la course !

Etape #2 — Domaine Vidot Notre-Dame-de-la-Paix

Le temps de remplir mes gourdes d’eau, je repars rapidement. Inutile de s’attarder ici, après si peu de kilomètres !

Puis rapidement, des bouchons se créent — comme en 2019. Rien d’agréable là, on a l’impression de perdre du temps. Mais se retrouver à l’arrêt permet de manger davantage et de bien mastiquer les aliments. Je fais déjà attention à limiter mes apports en glucides, en priosant les barres protéinées de la marque Cliff — recommandées par ma nutritionniste.

Premiers bouchons nocturnes.

Dans ces bouchons, il y aura quand même un gars qui va nous dépasser à fond par la gauche — alors qu’il n’y a juste pas de place. Quelques injures typiquement parisiennes vont alors égailler notre nuit… Ce gars m’a d’ailleurs fait penser à un personnage du même acabit dans la BD dédiée à cette course.

Bref… malgré tout, je ne sais pas vraiment comment l’expliquer, je ne suis pas toujours pas dans ma course. Une vague sensation de ne pas être à ma place… Et déjà des questions “Pourquoi est-ce que je m’inflige ça ?! Oui, j’ai abandonné il y a 5 ans, mais j’ai déjà monté le Maïdo, j’ai abandonné après 105 kilomètres, j’ai déjà vécu l’aventure. Alors quoi bon ?! Une médaille, et un t-shirt fabriqués en Chine ?… ”.

C’est sur ces idées noires que j’arrive malgré tout à 3h35 du matin ça y’est, on est passé à Vendredi — à Notre-Dame-de-la-Paix. Je suis classé 1070e / 2939. Avec 15 minutes d’avance sur mon temps de passage de 2019.

  • 33,4km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 05h35'57
  • Dénivelé total depuis le départ : 1976D+

Etape #3 — Notre Dame de La PaixNez de Bœuf

Un autre arrêt éclair où je ne me ravitaillerai qu’en eau, bouillon et café. Et je prendrai soin de bien remplir mes gourdes de comprimés de sodium et de poudre Maurten. Pour ne pas perdre de sels minéraux. Et limiter mes crampes pour les prochaines heures.

Il est vital de prendre le temps de bien préparer ses boissons et continuer à bien s’alimenter. Dans l’effervescence de l’instant, beaucoup de trailers ne fonctionnent qu’au ressenti. Mais si ça va maintenant, il n’est pas dit que ça aille plus tard…

On continue à grimper. Et à longer la longue Ravine de la Rivière des Remparts située entre Saint-Joseph et le Volcan — le Piton de la Fournaise. A cet endroit, j’aperçois de mutiples cadavres de grenouilles partout sur les sentiers et les routes qu’on emprunte. Et malgré le côté glauque de ce spectacle — je m’amuse à surnommer cette zone la “Vallée des Dead Froggies” dans ma p’tite tête… #PourToiPingSiTuLisCesLignes

On est Vendredi, il est 6h06 du matin.

Le soleil commence déjà à se lever.

Jusqu’ici ça va.

Même si je n’ai pas toujours l’impression d’être aussi bien impliqué dans cette course que par le passé… Je suis néanmoins complètement happé par la beauté de tout ce que je vois tout autour de moi.

On est dans la Plaine des Cafres. Un de mes endroits préférés de la Réunion. D’autant qu’on y est tôt le matin. Des paysages tellement sompteux, des couleurs variées, des décors époustouflants…

Dans les hauteurs de la Plaine des Cafres.

Par conséquent je dois m‘arrêter environ 20 fois pour prendre des photos dans tous les sens. Et me faire systématiquement dépasser par un paquet de concurrents, puisque nous sommes toujours en groupe assez compact.

D’autant qu’on est sur des sentiers relativement étroits.

Avec du fil barbelé tout autour.

S’agit pas de tomber, sinon c’est la grosse blessure assurée…

La Lune est encore bien visible malgré le lever du Soleil.
Attention aux barbelés !
La Plaine des Cafres et ses variétés de couleurs pastels. Splendide.
Au loin, une antenne. C’est là que doit se trouver le prochain ravito me dis-je…
Ambiance sur les derniers kilomètres avant d’arriver au ravito. Florilège.

Ici, le parcours diffère légèrement de celui de 2019. Rallongé de 6500 mètres environ, ça ne m’empêche pas d’arriver avec 15 minutes d’avance par rapport à mon précédent chrono sur ce tronçonen ayant pourtant perdu quelques positions — 1180e / 2939 :

  • 45,4km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 06h06'41
  • Dénivelé total depuis le départ : 2573D+
J’arrive au bout de ma première nuit blanche.
Le ravito de Nez de Bœuf.

Etape #4 — Nez de Bœuf → Mare-à-Boue

Une fois passé le parking de l’Aire de Nez de Bœuf, on continue à s’enfoncer dans la Plaine des Cafres.

Tellement magnifique

Vue lointaine sur le Piton des Neiges, point culminant de l’Océan Indien.

Le parcours est toujours aussi extraordinaire. Du coup, je continue à mitrailler de photos — et me faire passer par des hordes de coureurs.

Toujours faire gaffe aux barbelés !
Le brouillard fait déjà son apparition.
Oté les vaches !
Bientôt l’arrivée à Mare-à-Boue.
Ambiance matinale, à la fraiche !

Quelques kilomètres avant le prochain ravito de Mare-à-Boue, on repasse sur une route goudronnée.

Enfin du plat !

Mes jambes — pourtant fatiguées par les kilomètres déjà parcourus — répondent présent. Et sur cette portion, je me mets à courir frénétiquement. Avec un rythme en 5'00/5'30 durant les 2/3 derniers kilomètres de cette portion.

Ce qui me vaut de repasser une vingtaine de concurrents qui m’ont passé jusqu’ici, notamment pendant mes nombreuses pauses photos.

En guise de bonus, j’obtiens les encouragements du public, nombreux en cet endroit ! En effet, il y a beaucoup de familles qui sont présentes ici pour aider au ravitaillement de leurs proches.

Ravito de Mare-à-Boue.

Arrivé au ravito à 7h41, il y a une longue queue pour le repas chaud. Je me décide donc d’imiter ce que j’ai fait 5 ans auparavant : un autre arrêt éclair, en me limitant à l’alimentation que je transporte.

Je remplis à nouveau mes gourdes flasques.

Avec les habituels complément sodium/iso indispensables.

Et c’est reparti.

A l’arrivée de Mare-à-Boue, je pointais 1085e / 2939 :

  • 55,7km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 09h41'15
  • Dénivelé total depuis le départ : 2604D+

En 2019, je me classais 527e à Mare-à-Boue. Après avoir remonté plus de 1500 concurrents. Mais par rapport à 2019 — malgré le delta de 6 kilomètresj’accuse cette fois un retard de presque 2 heures sur mon objectif temps !

Avais-je forcé la cadence à l’époque ? C’est possible…

Que s’est-il passé cette année ? A part le temps perdu pour les photos, les quelques ralentissements dû là l’étroitesse des sentiers, ou la boue qui nous a un peu freiné, je ne vois pas comment je suis passé de 15 minutes d’avance… à quasiment 2 heures de retard sur mon objectif !

Là je comprend que je vais difficilement maintenir mon objectif de 38–40h sur la Diagonale. Et que surtout — à ce rythme — je risque de passer une 3e nuit blanche consécutive.

Chouette !

Etape #4 — Mare-à-BoueCoteaux Kerveguen

Une fois à Mare-à-Boue, J’accuse un peu le coup. Car ce retard va avoir un effet domino sur la suite : j’arriverai donc en retard à Cilaos. Et je serai donc en retard à Marla.

Il y a 5 ans, j’avais fait un arrêt trop long à Cilaos — j’avais énormément d’avance sur la barrière horaire, et j’avais fait une pause d’environ 5/6 heures. Puis je m’étais retrouvé complètement frigorifié à la sortie de Marla en pleine nuit.

Et c’était le début de ma descente aux enfers.

Cette année, j’avais donc prévu d’arriver vers Marla en milieu/fin d’après-midi. Et de profiter d’une première vraie sieste vers Aurère, dans le cirque de Mafate.

Mais je sens que je ne vais pas pouvoir tenir ce programme…

Sortie de Mare-à-Boue.

Il n’empêche, je sors de Mare-à-Boue rapidement. Ce qui me permet de reprendre un peu de temps au général.

Je mange ce que j’ai pris rapidement sur le stand de ravito lors des premiers hectomètres.

Avant de m’enfoncer dans la forêt qui nous emmènera vers le Piton des Neiges.

Et les hauteurs de Cilaos.

Bonjour la forêt !

Il n’y a que 10 kilomètres et 600D+ qui nous séparent du prochain ravito des Coteaux Kerveguen. Mais… je vais être tellement lent sur cette zone que ce tronçon va me consommer environ 3 à 4 heures de temps au général !

C’était beau et joli, au début !

Il y a 5 ans, cette portion ne m’avait pas marqué. D’autant que — d’après ce que j’écris en 2019, j’avais pris 2 fois moins de temps qu’en 2024 à traverser toute la forêt.

C’est long.

C’est tellement long.

Tous les coureurs autour de moi semblent aussi accuser le coup.

Certains me passent aisément. D’autres sont déjà en mode zombie. On est très loin de l’ambiance survoltée du départ.

Les chemins sont boueux, cassants, glissants. Mais le décor est somptueux.

La forêt qu’on traverse est splendide.

Mais tellement belle et magique que je la perçois comme maléfique. Elle joue sur mes nerfs. Et le manque de discernement me fait un peu divaguer et mon esprit me joue des tours.

Certains de mes voisins — avec qui je discute un peu — me partageront avoir eu des hallucinations durant cette partie de la course… J’ai même fait quelques haltes pour en aider quelques-uns qui n’avaient pas l’air très bien… En train de vomir. Ou juste complètement stone !

Des parcours exceptionnels, dans l’humidité.

Le parcours est beaucoup plus cassant que ce que j’avais dans mes souvenirs. Il fait très humide, il y a de la boue partout. Et je m’efforce de faire des “Ti pa ti pa” pour ne pas fatiguer tendons et muscles.

Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas ici que j’aurais fait un faux mouvement il y a 5 ans. Et que j’aurais développé mon début d’entorse. Et non lors de la descente vers Cilaos comme je le pensais…

Bref… je fais gaffe. Mais je subis davantage que je ne l’avais estimé. Et je repense au nom de l’endroit où je me trouve : “Mare-à-bout”. Soudain, la chanson que n’arrête pas de chanter mon fils refait surface…

“Trois p’tits chats, trois p’tits chats, trois p’tits chats, chats, chats, Chapeau d’paille, chapeau d’paille, chapeau d’paille, paille, paille, Paillasson, son, son, Somnambule, bule, bule, Bulletin, tin, tin, Tintamarre…, Marabout…”

Elle tourne en rond dans ma tête, de quoi me rendre dingue…

Et elle commence à se transformer en

“Doliprane, Doliprane, prane, prane, Pranilé, Pranilé, Pranilé, lé, lé, Des Légos, Des Légos, Des Légos, Go Go….”

Je deviens complètement dingue.

Et c’est après ce long passage à vide dans la boue que j’arrive enfin — et exténué — au ravito suivant aux Coteaux Kerveguen — Tiens, un nom breton ?!

Il est 10h19 du matin :

  • 65,3km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 12h19'03
  • Dénivelé total depuis le départ : 3289D+

Etape #5 — Coteaux Kerveguen → Croisée coteaux Kerveguen

Une fois arrivé au ravito, je me pose.

Il faut que je repositive. J’ai besoin de respirer un bon coup avant de repartir.

Le stand de ravito étant tellement perdu au milieu de nulle part, ils ne proposent que de l’eau.

Donc, je m‘allonge, je m’étire, j’essaye de me relaxer.

On me voit allongé par terre dans ce reportage de Marseille Provence Production. cf. https://www.youtube.com/watch?v=Uj_HxeS9Hr4

5 ans auparavant, j’avais enchainé immédiatement vers la descente de Cilaos. A y réfléchir, cette course est tellement longue et éreintante, le principal c’est quoi ? Une position ? Qu’est ce que ça change d’avoir une bonne position anonyme sur ce genre d’épreuve ?

Cette course est en effet davantage un raidavec des barrières horaires — qu’une vraie course.

Ce qui m’ennuie surtout, ce sont les nuits blanches à répétition…

Le principal c’est d’en venir à bout.

Du coup, je préfère perdre un peu de temps de manière intelligente. Mais pas de sieste, et pas de pause trop longue non plus. Car il faut rester chaud.

Le temps de faire une pause toilettes au milieu de nulle part. Et je reviens m’hydrater. Et manger une barre protéinée au repos.

C’est là que je croise pour la première fois celle que j’appellerai “la Marseillaise Youtubeuse”. Qui filme toute la course de l’intérieur. Son reportage : https://www.youtube.com/watch?v=Uj_HxeS9Hr4

Avant de me remettre en route.

Durant cette pause, de nombreux concurrents me passent, car la lenteur du parcours après Mare-à-Boue a créé de nouveaux groupes compacts. Au jeu des chaises musicales je perds ainsi plus de 200 positions au classement général. Mais j’ai simplement écouté mon corps. Et pris le temps nécessaire pour mieux attaquer la suite.

Les bénévoles nous indiquent qu’on est du près du sommet, avant d’enchainer sur la descente vers Le Bloc puis Cilaos. C’est “tout près, quelque chose comme 300 mètres”. Ce qui veut tout et rien dire, puisque le parcours continue de grimper dans une forêt identique à toute celle qu’on vient de traverser.

Quant à cette histoire de “300 mètres”, elle sera récurrente tout au long du parcours. A croire que les bénévoles se sont passé le mot pour tenter de nous booster avec de fausses indications :)

Arrivé en haut, je me retrouve alors 1295e, et il est 12h07 du matin :

  • 67,8km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 14h07'49
  • Dénivelé total depuis le départ : 3572D+
Grosse ambiance au sommet…

J’aurai définitivement du retard sur Cilaos.

Je sais que je vais donc y faire un arrêt plus court que prévu.

Initialement, je devais m’y poser 2 heures. En y restant moins longtemps, je peux espérer reprendre un peu de temps sur mes projections.

Et surtout conserver ainsi une avance confortable sur la barrière horaire.

Etape #6 — Croisée coteaux Kerveguen → Le Bloc

Arrivé en haut — Ouf ! — on est au point culminant de ce grand raid : 2416m. Tout près du Piton des Neiges.

Et c’est parti pour une très longue descente de 1097 D-. La descente est raide. Et nous emmène d’abord à Le Bloc. Avant de redescendre ensuite vers le stade de Cilaos.

Go pour la longue et raide descente vers Cilaos

Inutile de dire que c’est dangereux.

Il a plu, le terrain est glissant. Il y a des risques de blessures tous les mètres. Une fraction d’inattention et la course peut s’arrêter nette.

Cilaos est d’ailleurs souvent le théâtre de nombreux abandons.

Lors de la descente, certains coureurs — qui étaient en déperdition totale à Mare-à-Boue — me repassent. Je les encourage, on se congratule. Respect mutuel.

C’est ça aussi le trail.

Le parcours est parfois un peu roulant. Parfois très glissant et technique. Entrecoupé d’échelles, ultra glissantes elles aussi.

Et il pleut par intermitence. C’est très ch***t.

Avec mes lunettes, ce n’est pas toujours l’idéal non plus à cause de la buée qui bouche de temps en temps ma vision — Mais je sais que je n’aurais pas supporté mes lentilles durant plusieurs heures.

On croise quelques randonneurs qui vont dans l’autre sens.

Je m’amuse à leur indiquer qu’il leur reste aussi 300 mètres avant d’arriver au sommet :) #VengeanceGratuite

PS : une nuit blanche ne m’empêche pas d’être le zouzou que je suis ;)

Bref — après 1h30 de descente difficile et dangereuse — on arrive enfin à Le Bloc. On est Vendredi, il est déjà 13h27.

On est déjà en début d’après-midi !

On distingue Cilaos et son stade, à quelques kilomètres encore…

Malgré la difficulté du parcours — et quelques arrêts photos, je maintiens une position constante à la 1306e place :

  • 71,8km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 15h27'14
  • Dénivelé total depuis le départ : 3572D+

Etape #7— Le Bloc → Plateau des Chênes

Arrivé à Le Bloc, arrêt éclair.

L’objectif, c’est Cilaos.

J’ai toujours de quoi manger, bien que je continue à m’alimenter correctement et régulièrement. J’ai pris un gel avec de la caféine pour optimiser cette descente.

Aucune douleur.

Il me manque simplement de l’eau.

Votre serviteur, en pleine action en arrivant à Le Bloc.

Le temps de ravitailler, et c’est parti !

La descente se poursuit. Jusqu’à rejoindre une route bitumée. Où mes jambes répondront présent — comme à l’arrivée de Mare-à-Boue plus tôt dans la journée.

Au bout de cette route, je pensais arriver à Cilaos. Que nenni. Car une dernière petite bosse nous attend : le Plateau de Chênes.

N’en voyant pas la fin, certains de mes voisins vont très mal vivre ce petit “raccourci” avant Cilaos. Pour ma part, je sens Cilaos tout près. Et cela a un effet dopant chez moi !

Alors, bien que le terrain remonte un peu, avec une forêt qui se désépaissit, je retrouve un semblant de force. Et j’arrive à courir même dans les montées, reprenant ainsi une cinquantaine de concurrents directs.

A 13h54, je me retrouve ainsi classé 1270e — ce qui reste donc constant depuis Les Coteaux Kerveguen :

  • 73,8km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 15h54'53
  • Dénivelé total depuis le départ : 3707D+

Etape #8 — Plateau des Chênes → Cilaos

Puis le parcours repasse à nouveau sur du bitume. Et je recommence le même festival qu’à l’arrivée de Mare-à-Boue. Mes jambes répondent super bien — incroyable.

Je fonce vers le stade en courant sur un rythme de 4'00/km !

Ce qui me permettra d’avoir à nouveau le soutien du public. Essentiel en cet instant pour reprendre une bonne dose d’énergie.

Cette arrivée me permet aussi de reprendre une quarantaine d’autres concurrents largement au dessus de mon niveau technique de descente. Il est 14h12 quand je finis les derniers 186 D- et que j’entre dans le stade de Cilaos :

  • 76,2km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 16h12'01
  • Dénivelé total depuis le départ : 3707D+

La barrière horaire au stade de Cilaos est à 18h. J’avais 7 heures d’avance en 2019, contre simplement environ 4h cette année. J’ai donc 3h de retard sur mon objectif de temps initial. Certes, le parcours était un peu plus court à l’époque. En 2019, je m’étais arrêté quasiment 5h à Cilaos — ce qui s’était avéré stupide — et était reparti vers 15/16h.

Donc, je me dis qu’en faisant un arrêt éclair, je peux (un peu) retomber sur mes pattes. Au lieu de me poser 2 heures comme prévu, je vais essayer de me poser moins d’1 heure.

Arrivé en courant au ravito, je reste chaud en courant ensuite vers les tentes où sont entreposées nos sacs de ravitaillement confiés à Saint-Pierre la veille.

Une fois mon sac en main — quelle organisation de dingue, bravo les bénévoles ! — je me dirige vers la zone de repas. Enfin, un vrai repas chaud nous attend là : du cari poulet, du bouillon, des boissons de type Danao, du café… mmmh !

Je mange, lentement pour bien tout digérer. J’en profite pour m’asseoir à l’extérieur près d’un concurrent — qui a l’air très mal en point. Il se vante un peu en m’indiquant qu’il était sur le podium temporaire en catégorie Vétéran 4. Avant de chuter dans la descente. Et de se payer une fracture du petit orteil. Ainsi qu’une entorse à la cheville. Super

Je l’avais croisé quelques minutes auparavant en train de se faire interviewer par la chaine de télévision 1ère Réunion. Mais avec sa mésaventure, il n’a pas l’air très en forme. Alors je lui confie mes affaires, et je vais lui faire une assiette. Qu’il puisse à son tour manger à son aise.

C’est ça aussi le trail : l’entraide, le soutien vers les autres…

Car on est tous dans la même galère !

Une fois mon repas fini, je repars en direction du stade pour trier mes affaires. Changer mes sous-vêtements. Remettre de la crème Nok anti-frottements sur mes pieds et mes tétons.

Et recharger mon sac avec de nouvelles barres énergétiques !

Derniers préparatifs à Cilaos avant de reprendre les sentiers de la Réunion.

Et je repars ensuite.

Pas de sieste ici. Je n’ai de toutes façons aucune envie de dormir, le café du ravito m’aura certainement aidé. L’adrénaline y est aussi sûrement pour quelque chose…

J’essaye surtout de limiter mon temps d’arrêt car je suis quand même un peu dégouté d’être si en retard sur mon objectif temps. J’essaye de ne pas penser à la seconde nuit blanche qui se profile à l’horizon.

Et mon objectif sieste se situe à Aurère, très loin d’ici — dans le cirque de Mafate.

Je sors donc de Cilaos avec 3h de retard sur mes estimations.

Je sais que je vais donc arriver à Marla la nuit. Et j’en garde un souvenir très pénible. Je sais pourtant que je n’ai pas perdu de temps ici à Cilaos. Et que j’ai bien fait de me changer pour limiter l’humidité de mes vêtements. Et ainsi éviter de geler en pleine nuit.

Bref… en sortant de Cilaos, il me reste juste un coussin de 2/3h d’avance sur la barrière horaire.

Mais le vrai problème… c’est qu’il commence à pleuvoir de plus en plus fort !

Etape #9 — Cilaos → Sentier du Taïbit

Je suis finalement resté un peu plus longtemps que prévu à Cilaos, environ 1h30. Mais je suis frais à la sortie.

Et c’est quand même le principal.

Pas de douleurs, pas de bobos, pas envie de dormir.

Un vrai changement par rapport à mon expérience passée.

A la sortie de Cilaos, je recroise la Marseillaise Youtubeuse, au loin (en bleu).

En 2019, le ciel était dégagé et j’avais pu faire une série de clichés vraiment sympa dans cette zone. Mais cette année, pluie, humidité, brume…

On ne voit pas à 100 mètres.

C’est par là !

La sortie de Cilaos va durer une bonne heure.

Avant d’arriver aux pieds du Col du Taïbit.

Qu’il faudra grimper.

Pour nous emmener vers le Cirque de Mafate.

Des sentiers toujours très techniques.

7 kilomètres plus tard, il est déjà 17h10 :

  • 82,8km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 19h10'43
  • Dénivelé total depuis le départ : 4236D+

Au pied du début du sentier du Taïbit, j’ai très froid.

Je grignote un truc rapide au stand de ravito qui est situé pile au début du sentier. Je discute un peu avec les gens histoire de me changer les idées.

Mais il n’y a quasiment que des gens venus de Métropole, d’Autriche, d’Italie… Forcément, je ne peux que repenser à l’impact carbone qu’on représente tous :/

Mais j’appréhende la suite du raid.

Car je sais ce qui m’attend : la montée du col du Taïbit, en pleine nuit, et sur un terrain glissant. Je n’ai pas envie de dormir. Mais je ne me sens pas très pas en forme quand même… L’humidité me ronge.

Je discute rapidement avec la Marseillaise Youtubeuse. Complètement HS, elle va piquer une sieste ici. Sous la pluie. Bon courage…

De mon côté, c’est parti pour une nouvelle grosse ascension.

Etape #10 — Sentier du Taïbit → Marla

Le soleil se couche tôt — vers 18h — à la Réunion. Il est passé 17h30, alors la lumière faiblit déjà. Et il faut rapidement allumer nos lampes frontales.

Rapidement, on rentre dans le dur.

Les montées sont très raides, au délà de 30%.

La pluie s’intensifie.

Le sol est glissant, et truffé de pièges.

J’ai quand même le temps de me prendre plusieurs coups de troncs dans la face… Mes yeux sont focalisés sur le sol, et j’en oublie de regarder devant moi…

La parcours est un peu celui d’un toboggan.

On grimpe, pour ensuite redescendre un peu, remonter ensuite, et ainsi de suite.

Si bien que la difficulté est double : quand ça grimpe, il faut bien s’assurer de nos appuis. Parfois s’aider de nos mains pour escalader les rochers.

Alors que dans les descentes, ça glisse. C’est d’autant plus dangereux qu’on voit difficilement avec nos lampes frontales — et avec la condensation sur mes verres de lunettes.

Sans compter la boue qui vient se mêler à ce joyeux bordel…

15/20 minutes après avoir démarré l’ascension, on passe par une sorte de ravito clandestin. Une famille installée dans les hauteurs nous propose un thé chaud.

L’ambiance est moribonde.

Certes le thé nous réchauffe — mais j’ai l’impression d’être entouré de zombies

Cette ascension — puis la rapide descente vers Mafate — va durer 2h30 environ.

Une éternité dans ma tête.

Un groupe me colle au train, et je décide de rester devant eux pour m’imposer un rythme. Et profiter d’une visibilité plus globale, avec toutes nos frontales allumées. Je sympathise avec 2 d’entre eux — sans les voir, et on se propose de poursuivre ensemble sur le même rythme jusqu’à Aurère. Qui semble se situer à environ 4h de notre point actuel, si on maintient le rythme.

L’ascension s’éternise, je n’en peux plus.

Physiquement, je n’ai aucun bobo. Vraiment pas de douleur. Je suis juste pétri de froid du fait de l’humidité. Et ce n’est pas du tout agréable.

Mais j’ai encore Mare-à-Boue et la comptine de mon fils dans la tête “Mara-bout, bout, bout, bout’d’ficelle, etc.” dans la tête. Je suis en train de péter un plomb… Qu’est ce que je fous là !?

Plus on avance, et plus on croise des cadavres de traileurs sur les côtés du sentier. Enveloppés dans leurs couvertures de survie avec leur téléphone en guise de réveil, en train d’essayer de trouver le sommeil dans le froid et l’humidité.

On est vraiment dans une ambiance lourde…

Pour ma part — moi qui n’ai d’habitude pas de problème d’un point de vue mental — là je suis à la limite de l’angoisse et du craquage.

Alors… J’appelle ma femme. Qui est avec une partie de sa famille réunionnaise, et avec les enfants. Tranquilles. Je lui raconte rapidement ce que je traverse… Je ne dirais pas que je me suis fait engueulé… Mais disons qu’elle a su trouver les mots pour me remettre sur le droit chemin :)

Et aller au bout.

Ti pa Ti pa La Redoute !

Bref… J’ai vécu un moment difficile. Et j’avoue en avoir encore un peu cauchemardé quelques jours après l’épreuve.

Finalement, j’arrive à 19h56 à Marla ; ça y’est, je suis entré à Mafate — et je pointe en 1201e position — position finalement stable depuis les Coteaux Kerveguen :

  • 88,9km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 21h56'19
  • Dénivelé total depuis le départ : 5094D+
L’arrivée à Marla, sous la pluie et à lunettes #Wouhou.

Je me rappelle très bien de Marla, il y a 5 ans.

J’y avais pris froid. Et j’avais complètement craqué dans la forêt suivante. Je claquais des dents tellement j’étais frigorifié.

Cette fois, pour éviter cela, je reste en mouvement. Il continue de pleuvoir, alors je prends du bouillon chaud, avec quelques vermicelles. J’avale une nouvelle barre protéinée. Et un peu de gras et du glucide que propose le ravito : biscuits Tucs, petites tomates, patates douces, etc. Le tout en restant debout et en effectuant des petits aller-retours.

Derrière moi, une tente est reservée à une TV, qui passe en boucle des vidéos de soutiens. Des membres de famille de coureurs, qui — depuis leur canapés — lancent des “Allez Martin, on est avec toi. Et surtout, du courage, hein !”…

De quoi rajouter une bonne couche de glauque :/

Les 2 gars avec qui je devais repartir, je ne les ai jamais vus.

Ils étaient derrière moi, et comme c’est moi qui menait le train dans le Taïbit, je ne sais même pas à quoi ils ressemblent.

Je sais juste qu’il y avait un Julien à lunettes. Et j’ai beau interroger les binoclards qui m’entourent, aucun ne répond au doux prénom de Julien.

Alors, quelques minutes plus tard — légèrement requinqué — je reprends ma route, seul. Direction, le cirque de Salazie. Pour ensuite re-basculer dans Mafate, en direction d’Aurère.

Toujours sans sieste.

J’estime qu’Aurère est à 4h de là où je me trouve.

C’est loin, 4 heures…

Etape #11 — Marla → Plaine des Merles

J’entame donc ma 2e nuit blanche — Aïe. Et c’est sur ce tronçon que je passe les 24h de course.

En cet instant, le vainqueur Mathieu Blanchard vient de passer la ligne d’arrivée… C’est dingue…

Mais bon, point positif malgré tout : je n’ai toujours pas de douleur, excepté la grande fatigue accumulée. C’est quand un grand pas en avant par rapport à mes expériences passées en trail. A y réflechir, je pense que l’augmentation de mes apports en protéines — dont les collagènes — ainsi que mes semelles orthopédiques — y sont pour beaucoup. Car je ne pense pas pouvoir dire que ma préparation fut exemplaire…

La pluie se calme un peu.

Soudain, on distingue des bruits de scooters. Aucun doute possible : on est bien arrivé à Salazie. Car il n’y a pas ce genre de bruit dans Mafate. Salazie est accessible depuis la côte, via Saint-Benoit.

Changement d’ambiance.

Par contre — bien que j’ai pu la recharger brièvement à Cilaos ma lampe Petzl me lâche progressivement… Heureusement que j’ai pris une seconde frontale. Mais c’est une lampe de second choix, qui est positionnée sur ma cage thoracique. Elle n’éclaire pas très bien, et surtout elle reste statique. Quand je bouge la tête, je n’éclaire pas ce que j’observe.

Du coup, je vais devoir continuer mon chemin avec une flasque dans la main gauche — car j’ai toujours une gourde d’eau+sodium à la main, pour boire continuellement. Et ma main droite va maintenir cette petite lampe, pour l’orienter vers le sentier. Et m’aider à distinguer ce qui doit l’être.

M’enfin, ce n’est pas très pratique…

Puis c’est au tour de mon téléphone de me lâcher — il n’y aura plus de photos…

J’aurai quand même la chance de croiser un superbe tangue. Pas du tout apeuré par ma présence. Que j’observerai quelques longues secondes. Avant de croiser… un rat, cette fois !

Je vais être rejoint par un petit groupe de médecins et d’infirmiers. Qui parlent en continu de leurs métiers. Mais qui connaissent parfaitement le terrain. Ils vont me décrire des zones clés entre les 2 cirques de Mafate et Salazie, qu’ils maitrisent à la perfection. Je vais les suivre autant que possible pour profiter de l’éclairage de leurs lampes.

Mais je vois quand même très mal.

Il suffit qu’ils me distancent d’1 ou 2 mètres simplement pour que je commence déjà à rater mes appuis, par manque de visibilité…

Finalement, après les avoir maintenu 10/15 minutes, un autre David — marin de métier — va se joindre à moi pour atteindre le prochain ravito.

Je pointe alors à 22h46 en 1212e position à la Plaine des Merles — je ne comprends toujours pas comment ma position reste stable malgré tous ces problèmes…

  • 95,2km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 24h46'55
  • Dénivelé total depuis le départ : 5564D+

Le parcours grimpait beaucoup depuis Marla.

On a repris environ 500D+ — ce qui représente quand même une grosse Tour Eiffel. La pluie est toujours présente. Mais se calme par intermitence.

J’effectue alors un nouvel arrêt éclair le temps de recharger mes gourdes. Et d’avaler de nouveau de quoi bruler des calories.

Je suis toutefois un peu KO.

Pas de sieste jusqu’ici. Beaucoup de fatigue accumulée. Ma tête tourne un peu, je sens que je commence à manquer de discernement. Pourtant, les bénévoles m’indiqueront ne pas pouvoir m’aider : ils refusent de me prêter une simple chaise. Je ne peux pas me reposer dans un endroit sec sur ce ravito :/

Pas le choix, il faut continuer…

Et je repars quelques minutes après pour rejoindre le Sentier Scout.

Qui doit me ramener à Mafate.

Puis à Aurère.

On y croit !

Etape #12 — Plaine des Merles → Sentier Scout

Environ 5/10 minutes après être sorti du ravito précédent, je rejoins une route où de nombreuses familles sont présentes. Aux t-shirts bleus portés par ces personnes, je devine qu’ils sont tous là pour soutenir les participants du Trail de Bourbon. Dont la course a démarré de Cilaos peu après mon passage.

Là, j’avoue avoir fait un peu mon mendiant… “Une chaise, siouplé” ! J’étais en train de quémander une sieste de 20 minutes. Comme elle m’avait été refusée sur le ravito précédent, ça m’avait affecté. Je sens pourtant que si je ne me pose pas là, je ne verrai jamais Aurère dans les temps — Barrière Aurère… #wouhou

Une gentille madame me prête alors une chaise de rando.

Je m’assieds enfin au sec, et pas sur une grosse pierre bien dure. Couverture de survie sortie, je pose ma tête sur mes jambes. Je ferme les yeux… Et 20 minutes plus tard, réveil en fanfare par la madame qui m’indique de quitter les lieux parce “c’est bon là”.

OK… Merci, au revoâr.

1h plus tard, je ferai la jonction le Samedi à 00h07— non sans mal avec ma lampe pas pratique du tout — avec le début du Sentier Scout :

  • 97,2km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 26h07'26
  • Dénivelé total depuis le départ : 5587D+

La barrière horaire au Sentier Scout est prévue 4h30 du matin. J’ai donc repris un peu de temps après Cilaos — Comment est-ce possible !? J’ai un coussin de sécurité de plus de 4 heures désormais.

Je pointe à la 1256e position, qui est une position toujours aussi stable depuis les Coteaux Kerveguen. Je reconnais d’ailleurs quelques têtes que j’ai déjà vu auparavant. On n’arrête pas de se croiser — me lance d’ailleurs un traileur qui me reconnait lui aussi ;)

Hormis quelques échanges avec les autres participants de l’épreuve, j’ai quand même des points noirs qui rendent pénibles mon avancée :

  • Ma lampe me saoûle. Ras le bol de devoir la tenir d’une main pour m’orienter. En plus son éclairage est… Bof quoi ;
  • La pluie reprend de plus belle. Et le sentier est étroit, il faut donc redoubler de vigileance… Chouette ;
  • Bien que roulant, je ne peux profiter vraiment de courir à vitesse constante sur ce terrain, car on est rattrapé sans cesse par des hordes de participants du Trail de Bourbon. Le premier passera d’ailleurs à une vitesse folle à côté de moi. Comment fait-il pour s’orienter à ce point dans l’obscurité ?! D’autant que — malgré la boue et les pierres glissantes — comment fait-il pour avoir de bons appuis et ne pas tomber !?

Il me faudra passer mon temps à me mettre sur le côté pour laisser passer tous ces coureurs plus frais et plus rapides. Encore une belle perte de temps dont je me serais bien passé !

Et puis… je suis fatigué.

J’en ai marre.

Aurère est encore loin…

Etape #13 — Sentier Scout → Aurère

La nuit s’annonce longue. Ma micro sieste de 20 minutes a eu le bénéfice d’exister. Et m’a quand même bien aidé, il faut l’admettre.

Mais l’ambiance est étrange.

Il continue de pleuvoir. Mes lunettes ne m’aident pas. Ma lampe non plus. Des gars dorment le long du sentier. Bref… c’est glauque.

En plus, depuis le début de l’épreuve je retrouve des déchets un peu partout sur nos sentiers fragiles. Des emballages de gels, des bouchons de je-ne-sais-quelle-capsule-de-sodium, des sachets de Maurten…. franchement, ça me dégoûte de voir ça. Pour gagner quelques secondes, certains vont donc s’affranchir de la plus élémentaire des disciplines : gérer leurs déchets avec attention. Tant pis si les poches collent avec des restes, on se lavera plus tard quoi… Et ramasser ses déchets ne prennent que quelques secondes. Ce qui m’a fait penser à Killian Jornet.

Le sentier est interminable.

On traverse un passage dangereux à pic, avec 2 bénévoles qui filtrent l’entrée. Histoire de s’assurer que personne ne va chuter là.

Puis je m’autorise une pause de quelques minutes pour manger au sec — la pluie venant enfin de s’arrêter. Je suis rejoins par un gars et une fille, on papote un peu. On a une vue sur le Maïdo qui se dresse face à nous. Et on y voit des lampes frontales en train de grimper ce titan de pierre. Ils ont donc quelques heures d’avance sur nous, et pourront dormir bientôt. Les veinards !

En repartant, je croise alors un groupe de trailers du Trail de Bourbon, à l’arrêt. Un de leurs amis a fait une mauvaise chute, et ils soupçonnent une fracture de la hancheIl n’a pas l’air en forme d’ailleurs le gars…

Aurère est toujours loin, c’est psychologiquement difficile.

Ma montre me lâche à son tour.

Là c’est problématique… car je me basais sur ma montre pour déterminer à quel D+ je me situais. Afin d’estimer l’effort restant à produire pour atteindre le ravito suivant. Sans cette estimation, je vais naviguer à vue.

Déjà qu’avec une lampe moyenne et mes lunettes c’est pas terrible…

Là ça va pas le faire…

Je croise alors les premières maisons de Mafate. Et un réunionnais nous motive depuis son jardin. Il est chaud le gars…

Alors je vais le voir et je lui demande la totale :

- Bonjour Monsieur — Je suis en galère de montre, de lampe et de téléphone, pourriez-vous recharger quelques minutes ces 3 trucs pendant que je fais une petite sieste devant chez vous ?… Disons de 20 ou 30 minutes ?

- Bien sûr, pas de pb, tenez installez-vous là sur ce carton, je m’en occupe !

Trop gentil le gars…

Je me situe entre Aurère et Ilet à Malheur. Et comme convenu, au bout de 20/25 minutes, le gars me réveille. Avec quelques pourcents de batterie gagnés sur ma montre. Et ma Petzl légèrement rechargée. Ainsi que mon téléphone qui se rallume. En plus j’ai pu me reposer sur un carton sec. Cool !

Il m’indique qu’Aurère est tout près.

Le temps de le remercier chaudement. Et c’est reparti pour les dernières minutes sur ce sentier Scout.

Je croise alors beaucoup d’autres trailers. De la Diag et du trail de Bourbon. Je viendrai d’ailleurs en aide à 2/3 d’entre eux d’ici Aurère. Des gars et des filles pas du tout en forme

Et finalement, après avoir passé les 100 kilomètres de Raid, j’arrive enfin à Aurère. On est le Samedi, et il est 4h37 du matin :

  • 105,9km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 30h37'19
  • Dénivelé total depuis le départ : 5970D+
Arrivée à Aurère. Mode zombie activé.

J’ai perdu environ 200 positions en arrivant là. Mais le principal, c’est que j’y suis ! Pas de bobo, juste de la fatigue. Et malgré les problèmes techniques, j’ai réussi à pointer dans les temps.

Après, on va pas se mentir. Je craque “un peu”.

J’en ai quand même ultra marre. D’autant qu’autour de moi, tout le monde a l’air fracassé, en mode Zombie.

J’ai envie d’être ailleurs…

Je sais que le Soleil va se lever dans moins d’1 heure. Ma Petzl m’a lâché à nouveau après avoir quitté mon hôte d’Ilet à Malheur… Alors, je décide d’attendre que le Soleil ne se lève pour repartir et ne plus avoir besoin de ma frontale. J’en profite alors pour bien manger, faire un peu le tri dans mon sac.

Et me poser 15/20 minutes à nouveau.

Puis, je sors d’Aurère au lever du jour.

Sortie d’Aurère

Etape #14— Aurère → Passerelle d’Oussy

Je vois d’après le plan de course que la Passerelle d’Oussy se situe tout en bas de Mafate, à environ 4 kilomètres. En sortant d’Aurère, on a donc un chemin en descente, qui nous enfonce dans le cirque de Mafate. C’est le matin, je n’ai plus de problème de visibilité. Et — bizarrement — je me sens reposé.

Et surtout… la vue est juste grandiose.

A nouveau, je mitraille de photos l’environnement qui m’entoure.

Mafate. Au loin : le Maïdo.
Vue plongeante.
Il faudra escalader ce mur tout à l’heure !
Une vue imprenable.
Une autre variété de couleurs et d’ambiance.

On passe par des chemins en corniche, parfois sécurisés, parfois non. Je ne viendrai pas tout de suite ici avec mes enfants ;)

Ambiance durant cette descente

La descente est assez facile, les chemins sont agréables.

Bref, pas de difficulté rencontrée ici.

Si ce n’est encore et encore des déchets laissés par les concurrents qui jonchent les sentiers… J’en ramasse toujours quelques-uns. Mais il y en a vraiment trop à mon goût :/

Puis, on distingue la passerelle d’Oussy, et le stand de ravito qui s’y situe.
J’y suis !

On est toujours Samedi, et il est 6h35 du matin :

  • 105,9km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 32h35'50
  • Dénivelé total depuis le départ : 6018D+

Mon classement : sensiblement le même qu’à Aurère, vers la 1400e position. Autrement dit, c’est surtout le sentier Scout que j’ai mal géré. Je sais pourquoi…

Malgré toutes mes pauses à répétition, j’ai encore 3 heures d’avance sur la barrière horaire puisqu’il fallait pointer ici à 9h30 au plus tard.

Bah… y’a plus grand chose en fait ! :)

Etape #15 — Passerelle d’Oussy → Ilet des Orangers

Le temps de me changer — car les températures remontent déjà— et de vêtir mon débardeur du club de triathlon de Locminé, je profite du ravito pour refaire mes gourdes à neuf. Et attaquer la suite dans les meilleures conditions.

Corporate jusqu’au bout !
On distingue bien le chemin en pleine ascension qui va suivre.
D’abord, il faut traverser la passerelle

Après la passerelle, on a une grosse ascension de 909D+ précisément qui nous attend. Mais… contrairement aux descentes — que j’ai en horreur — j’aime les montées. Pas sous la pluie, clairement. Là, je me sens un peu comme dans mon élément, prêt à en découdre. Je repense à cette fameuse interview de Manaudou : se focaliser sur une force, pour gagner des points de mental.

Même si je l’avoue… je sais qu’on a une énorme ascension à effectuer, car après Ilet aux Orangers, ce sera au tour du Maïdo !

Le parcours monte, et descend d’abord. Pour rejoindre le fond de Mafate.

Et la fameuse Rivière des Galets.

Des parcours toujours aussi splendides !
Traversée de la Rivière des Galets.
La plupart va se déchausser

La plupart des trailers vont délicatement enlever leurs chaussures.

Pour traverser à pieds nus. Et se rechausser ensuite.

J’avoue que je suis perplexe… Il commence à faire chaud. Nos chaussures vont de toutes façons bien sécher. Et elles sont d’ailleurs déjà bien trempées par la pluie qui nous a aspergé durant des heures. Quel intérêt de se déchausser finalement ?…

Je décide alors rapidement de traverser la rivière, sans prendre le temps d’enlever mes chaussures. Le temps de recroiser alors la Marseillaise Youtubeuse. Et c’est parti pour la vraie première grosse ascension de ce Grand Raid !

En route pour Ilet aux Orangers !

Et ô comble du bonheur : l’ascension est surtout faite de marches régulières. C’est exactement le type de montée en escalier qu’il me faut. Du coup… j’avance très vite. Laissant sur place de nombreux autres trailers.

Mais la chaleur commence déjà à faire son effet. La déshydratation nous guette si on ne fait pas attention.

Malgré ma performance sur ce genre de grimpette, j’avoue ne pas en avoir réellement bien profité pour reprendre du temps sur la barrière horaire. Car subjugué par les décors, j’ai effectué cette ascension par étape successive :

  • Je monte à toute vitesse — merci les cuisses ;
  • Je m’arrête à l’ombre, je bois ;
  • Je mitraille de photos les paysages ;
  • Mes poursuivants ont alors eu le temps de me recoller ;
  • … Et ainsi de suite.

Mais franchement… rater ce qu’on voit pour gagner des places… Ce n’est toujours pas la philosophie que je me fais de ce genre d’épreuve.

Mais quel endroit magique, Mafate !

L’ascension se poursuit ainsi. On passe par un petit cimetière. Et une dernière ascension abrupte avant d’arriver au ravito.

La magie s’opère tout autour de nous :)

Et il est 9h00 du Samedi matin lorsque je termine l’ascension vers Ilet des Orangers :

  • 115,5km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 35h00'33
  • Dénivelé total depuis le départ : 6927D+
Bienvenue au ravito !

Etape #16 — Ilet des Orangers → Maïdo → Piton des Orangers

Le temps de me ravitailler, de boire de l’eau et de bien remplir mes gourdes. Puis je fais un rapide saut aux WC — et c’est reparti pour la suite.

Il fait déjà bien chaud malgré l’horaire matinal.

Et je sens que le soleil va taper très fort. Il va falloir monter le Maïdo le plus vite possible — me dis-je. D’autant qu’il faut être au point de ravito suivant avant 15h30. J’ai donc plus de 6 heures pour escalader le Maïdo !

Cette avance me semble très confortable.

Sortie d’Ilet aux Orangers

A la sortie du ravito, le chemin redescend pour remonter ensuite très fort. Je retrouve mes petites marches régulières — et le rythme de ma respiration me remet la comptine “Mara-bout-bout-bout” dans ma tête :)

Et ce sentier nous emmène jusqu’à un magnifique point de vue : le col de la Brèche.

Une vue magnifique, que je vais contempler plusieurs minutes…

Vue depuis le Col de la Brèche

Déjà, on entend au loin le public qui met une grosse ambiance au point du Maïdo. Des cris, des percussions… Mais aussi un petit nuage qui commence à se faire persistant et cacher la vue du sommet.

Magique.

Le col de la Brèche, depuis l’escalade du Maïdo
Vue aérienne de Mafate

Plus on grimpe, plus le brouillard se fait persistant.

On sent qu’on touche au but. D’autant que le bruit du public est de plus en plus fort. Mes souvenirs de la montée du Maïdo en 2018 lors du Trail de Bourbon refont surface… Surtout quand je repasse devant la grosse pierre marqué d’un “75–25” indiquant qu’on est sur le dernier quart de l’ascension !

La brume fait son apparition

Lors de l’ascension j’ai rattrapé de nombreux coureurs devant moi.

Sauf que les sentiers sont tout de même assez étroits… Pas facile de les doubler. Du coup, j’effectuerai 2 pauses lors de cette ascension pour laisser un peu de champ libre devant moi et repartir à mon rythme.

J’en profite pour avaler des gels. J’avais justement réservé mes gels pour ces grosses ascensions. Là, il me faut du sucre rapide pour m’aider à bien pousser sur mes cannes ;) Et j’arrive toujours à bien m’alimenter contrairement à beaucoup de mes voisins.

En parlant de canne… je vais croiser un véritable warrior. Frédéric — dossard 396 — qui s’est blessé. Et qui ne tient plus que sur 1 seule jambe. Ce gars escalade le Maïdo sur une canne en bois qu’il s’est dégoté en pleine nature ! Forcément, il avance très lentement vu les murs qu’on grimpe...

Ma montre GPS m’indique qu’on est encore à 150 ou 200m en termes de dénivelés du sommet. Ce qui doit représenter quelque chose comme 1500 mètres à parcourir selon mon estimation au petit doigt levé.

Frédéric, El Warrior.

On sympathise, et je lui propose mon aide.

Car tout les autres zombies passent devant lui en l’ignorant. Pas possible ça… Je lui propose spontanément de l’accompagner jusqu’au sommet, peu importe le temps. 623e ou 1852e ? ça change quoi !?Je peux bien prendre du temps pour t’aider quand même !? — Lui dis-je.

Il rit, apprécie, et accepte mon aide.

Mais au bout de 2 mètres, il se sent tellement diminué — et certainement honteux de me ralentir à ce point — qu’il se pose par terre et lâche l’affaire.

Le temps de lui offrir de quoi manger car ses réserves sont vides, il me donne le nom de sa femme — Catherine.

Que j’essaierai de trouver au sommet pour qu’elle descende le secourir.

Cette nouvelle mission va me motiver sur les derniers hectomètres qu’il me reste à escalader.

Je repars sur un bon rythme.

Et je continue à rattraper des gens qui me laissent passer sur la fin de cette grosse ascension. Régulièrement, je me sens obligé de leur indiquer le D+ restant, pour motiver ceux que je croise. Une manière aussi de m’auto-motiver — indirectement.

On croise quelques randonneurs qui descendent le Maïdo. Et qui nous motivent avec un “plus que 300 mètres” ! Sérieusement ?!

Parmi eux, je suis certain d’avoir reconnu un acteur du dîner de cons ! Si vous avez vu ce film, vous vous rappelez certainement de l’ami de Thierry Lhermitte qui l’appelle par téléphone au début du film depuis un TGV. Après sa rencontre avec Jacques Villeret. Pour lui annoncer : “Pierre ? J’en tiens un !”. Cet acteur (Edgar Givry) m’a marqué, je ne sais pas pourquoi… Et v’là que je le croise là, avec sa femme, en train de nous laisser passer.

Je ne saurai jamais s’il s’agissait vraiment de lui ou d’une hallucination… Mais si c’est une hallucination, j’aimerais bien en comprendre le sens… ?!

On n’y voit quasi plus rien, une fois arrivé au sommet !

Quelques minutes plus tard j’arrive au sommet du Maïdo.

Quelle ambiance de folie !!!! J’ai l’impression d’être un champion cycliste au sommet de l’Alpe d’Huez, avec un public qui scande mon nom. C’est incroyable.

Le public et les familles sont tous ultra chaleureux.

C’est tellement bon pour le moral.

On a même l’impression d’être arrivé à la Redoute tellement l’atmosphère est dingue… Pour s’en rendre compte : https://www.youtube.com/watch?v=Uj_HxeS9Hr4&t=1930s

L’arrivée au Maïdo filmée par la Marseillaise Youtubeuse. Lien direct : https://www.youtube.com/watch?v=Uj_HxeS9Hr4&t=1930s

Puis, rapidement, je vais chercher les bénévoles.

Et leur indiquer qu’un certain Frédéric attend sa femme Catherine un peu plus bas. Malgré le bruit, j’arrive à leur expliquer qu’il est injoignable, blessé, et qu’il avance très lentement. Et qu’il veut juste rassurer sa femme. Et qu’elle puisse éventuellement le rejoindre.

Alors on commence à crier “Catherine !!! Catherine, la femme de Frédéric !!” Mais personne ne répond à ce nom… Après quelques minutes à faire chou blanc, je laisse les bénévoles finir leurs recherches et je quitte rapidement les lieux. En direction du point de ravitaillement, situé à moins de 2 kilomètres de là.

Je pourrais parfaitement y aller en courant. Mais j’ai sympathisé avec une traileuse sur la fin de l’ascension du Maïdo. Dont j’ignore parfaitement le nom. Mais qui galérait dans l’ascension. Et qui m’a rattrapé lorsque je cherchais Catherine. Là, elle marche, et me déclare qu’elle va abandonner.

Pourtant elle a l’air parfaitement en forme. Mais c’est côté mental que ça ne suit plus du tout…

Installée à la Réunion, elle m’explique avoir déjà fait la Mascareigne — l’épreuve raccourcie de la Diagonale — l’année précédente. Et que par conséquent, elle connait la fin du parcours par cœur puisque toutes les courses se rejoignent. Du coup, elle a tout vu. Et ça ne l’intéresse plus de continuer.

Mouais… Je la motive quand même sur le chemin restant à parcourir. J’avoue très honnêtement ne pas être fan des abandons qui semblent trop… “faciles”. Elle n’a aucune blessure, n’a pas l’air si fatiguée que cela. Et elle parle normalement avec discernement. Elle semble totalement assumer son choix.

Soit !

C’est durant ces quelques minutes à avancer au bord du vide — car aucune barrière ne nous sécurise de Mafate, que l’on surplombe désormais — que j’ai un début de douleur au genou gauche.

Quelque chose qui s’apparente à une tendinite — Ach !

Et il est 13h07 du Samedi matin lorsque je pointe à Piton des Orangers, situé à 1949 mètres d’altitude :

  • 123,3km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 39h07'38
  • Dénivelé total depuis le départ : 8137D+

Avec une barrière horaire à 20h15, je me sens en quelque sorte tiré d’affaire. Puisque j’ai désormais plus de 7h d’avance. D’autant que — il me semble — le plus dur est derrière nous.

Etape #167— Piton des Orangers → Ilet Savannah

Une fois arrivé, je me dirige d’abord vers la tente des soins. Pas question de me laisser gacher l’aventure par une tendinite. J’ai déjà eu cette mésaventure il y a 6 ans sur le Bourbon. Et sur d’autres trails précédents.

Cette fois, la barrière horaire me permet de me faire soigner tranquillement. Alors je vais en profiter !

Après quelques minutes d’attente, une infirmière me prend en charge. Mais… justement : c’est une infirmière ! Elle n’est ni kiné, ni osthéo. Alors, elle va tenter de me soigner avec sa connaissance limitée. Car elle m’avoue ne pas savoir faire un vrai strapping avec des bandes de kinésiologie — que j’avais dans mon sac.

Elle improvise un truc.

Je me dis que je peux lui confiance, même si je suis un peu perplexe quand même…

Je pars ensuite m’alimenter. Et je bois une Dynamalt — une sorte de Redbull réunionnaise mais naturelle et à base de malt. Le médecin me voit… et manque de m’insulter pensant que je buvais une bière !!!!

Après ce petit intermède digne de Laurel et Hardy — et après avoir profité de petites musiques classico-bretonnes jouées par un groupe de retraités motivés— Je repars en direction d’Ilet Savannah.

Et c’est parti pour une longue, très longue descente.

D’environ 17/18 kilomètres. Avec un gros dénivelé négatif : 1895D-

Autrement dit, moi qui adore les descentes, ça va piquer. D’ailleurs pas eu besoin d’avancer beaucoup pour me rendre compte que ma tendinite… s’accentue ! Et m*** !

Autrement dit, cette descente qui aurait dû être une formalité banale pour moi, va se transformer en une longue, très longue procession d’environ… 4 heures ! Sur le plan sportif, c’est vraiment pas terrible. D’autant que cette blessure — parfaitement invisible à l’œil nu — semble peu crédible de l’extérieur.

Bref, ça fait ch***.

Beaucoup de gens vont alors me dépasser sur cette portion.

Ce qui n’est pas très bon pour le mental non plus. Du coup, je vais quand même essayer d’augmenter la cadence par moment. Mais le parcours est moins facile qu’il ne semblait l’être sur le papier. Au lieu d’une longue descente, c’est plutôt des toboggans qu’on traverse. On monte, et on descend. On descend régulièrement de plus en plus bas. Mais ce n’est absolument pas une descente rectiligne. Durant laquelle on doit d’ailleurs escalader — ou passer sous — des troncs d’arbre qui coupent notre route.

Et puis… la pluie refait son apparition.

Une bonne grosse pluie d’ailleurs. Puis, le sentier en terre laisse place à des rondins de bois plantés dans le sol. Sensés aider les marcheurs. Sauf que là, avec toute cette eau et la boue, ces rondins deviennent dangereux car extrêmement glissants.

Et ce qui n’a pas manqué est alors arrivé : un coureur — vêtu du même chapeau rouge que celui de François Dhaene — me passe un peu trop vite. Et quelques mètres plus loin se ramasse la gueule bien méchamment.

Et il tombe pile sur sa lampe, qu’il avait soigneusement rangé en bas de son dos. “Haaaaaaaa” crie-t-il. En quelques secondes, sa course s’est sûrement interrompue. C’est fou… après l’effervescence de l’arrivée au Maïdo, 2 heures après, c’est une grosse désillusion pour lui. Il y a tellement de dangers à éviter sur tout le parcours…

Alors, je reste un peu avec lui pour l’aider à se relever et à essayer d’avancer. Mais déjà il cloche du pied, et n’arrive quasiment plus à mettre un pied devant l’autre. Quelques minutes après, il se décide à appeller sa femme qui est infirmière pour prendre conseil auprès d’elle.

Je le laisse à ce qui s’apparente à une belle fracture. Et je poursuis ensuite la descente avec ma bonne vieille tendinite. Et enfin, on distingue la mer ! Au loin, la ville de Saint-Paul. Je vois même tout au bout de la baie l’immeuble qu’on occupe avec les miens. J’en ai la larme à l’œil, car mes enfants me manquent terriblement

Puis le sentier laisse place à une route goudronnée.

Et malgré mon bobo au genou, je retrouve mes jambes comme à l’arrivée de Mare-à-Boue, ou à Cilaos ! Je cours sur un rythme entre 4'30 et 5'00/km. Mes enfants ont-ils été le moteur de ce sur-régime ?

En 2018, mon abandon sur tendinite au Trail de Bourbon s’était confirmé à l’entrée d’un sentier. A l’époque, le moindre pied droit posé à terre m’envoyait un coup de poignard dans le genou. C’était horrible et l’abandon était devenu une évidence... Et je me souviens parfaitement de l’entrée de ce chemin devant lequel j’ai abandonné : c’est le chemin devant lequel je me trouve désormais ! Car après la route goudronnée, on est invité à faire un petit détour “piquant”.

Certain que l’arrivée n’est plus très loin, d’après les indications de ma montre, j’arrive à détaler sur ces 1500 mètres de chemin difficile malgré ma tendinite. La chaleur des mouvements la rend supportable. D’autant que j’ai l’impression de prendre une revanche sur le passé. Car en passant ce chemin, psychologiquement j’ai l’impression de franchir une nouvelle étape. Et ça me booste !

Puis on repasse sur une route goudronnée, et re-festival entre 4'30 et 5'00/km. Je continue ainsi à reprendre du temps perdu lors de la longue descente infernale.

Enfin, je rejoins un groupe dont je vais prendre la tête pour une dernière partie de sentier très technique. Et très sineuse. Car on entend du bruit au loin, on s’en éloigne. Puis on s’en rapproche. Et ainsi de suite. De quoi nous rendre dingue avant l’arrivée à Savannah. Mes voisins étaient d’ailleurs d’accord avec moi : cette petite portion — à cet endroit — était complètement sadique ! :)

Et il est déjà 18h23 lorsque je pointe au ravito d’Ilet Savannah en 1516e position :

  • 140,km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 44h23'26

Je ne comprends pas comment ma position après le Maïdo a pu être stabilisée alors que j’étais d’une lenteur extrême sur la descente. A moins qu’il n’y ait déjà eu de nombreux abandons devant moi… ?!

D’autant qu’avant l’arrivée, j’ai accepté de donner une interview à un autre Youtubeur. Qui voulait juste mes impressions de la course, etc. Vidéo que je n’ai d’ailleurs toujours pas retrouvée en ligne, même si j’ai retrouvé le gars : https://www.youtube.com/@THIERRY97414/videos

J’arrive néanmoins à pointer mon arrivée pile au coucher du soleil. C’était un objectif intermédiaire que je m’étais fixé durant la descente. Je sais aussi que j’ai vraiment passé le plus dur.

Mais que j’ai clairement une 3e nuit blanche en perspective…

Côté barrière horaire, elle est fixée à 23h45 à Ilet Savannah. Je n’ai donc plus que 5h et quelques de coussin de sécurité. J’ai clairement perdu du temps depuis ce matin avec cette *** de tendinite.

Ilet Savannah — 3 heures d’arrêt

Ma pause à Ilet Savannah va finalement être beaucoup plus chronophage que prévue : 3 heures d’arrêt.

3 heures c’est beaucoup.

Oui. Mais ces 3 heures ont été particulièrement efficaces de mon point de vue. D’abord, je me suis servi un bon repas chaud : un cari poulet, mêlant sucres lents et protéines. Puis, j’ai récupéré mon 2nd sac de ravitaillement, après celui de Cilaos. Pour me changer dans un premier temps : sous-vêtements, chaussettes, t-shirt… tout y passe.

Ensuite, direction les tentes de soin

J’ai alors confié ma tendinite à une vraie kiné — qui m’a viré le vieux strapping tout nul qui tombait en lambeaux. Puis, elle m’a massé les cuisses et les mollets — Raaaah!

Enfin, mes petits pieds douloureux sont passé par l’équipe des podologues.

Seringues, piqures, soin, crème…

Mes pieds étaient tous neufs en sortant de chez eux !

Ensuite, il me restait à recharger mon sac de trail en alimentation et eau, et rendre le sac de ravitaillement. J’avais prévu une nouvelle lampe frontale — que d’autres trailers m’avaient conseillés. Un modèle relativement simple de chez Decathlon. Mais qui va s’avérer beaucoup plus fiable que ma Petzl !

Mais ma montre et mon téléphone étaient aussi déchargés. Mon téléphone m’avait déjà laché depuis le Maïdo. Heureusement, des bénévoles ultra sympas — originaires de Lorient — m’ont pris mon matériel. Et m’ont tout rechargé pendant que je préparais mon sac.

Ce qui m’a donné du temps complémentaire pour m’alimenter à nouveau et m’hydrater correctement.

Et tenter de me réchauffer !

J’ai d’ailleurs copié une technique vue chez d’autres trailers la nuit : la couverture de survie sous le kway. Une vrai protection contre le froid !

Sauf que j’ai poussé le délire, en laissant le surplus de couverture dépasser mon kway. Et les bénévoles — hilares en me voyant ainsi — ont commencé à m’applaudir tous ensemble devant cette jolie jupe ridicule !

J’avoue avoir amorcé des petits pas de danse pour les remercier chaleureusement :D

Reposé, réparé, rechargé, j’ai pu joindre ma chérie quelques minutes pour lui faire part de mes émotions. Et de mes galères… Et de m’assurer qu’elle arrive à me suivre à distance malgré mon téléphone off.

J’ai en effet réservé une puce SFR qui fait office de GPS, lui permettant de suivre en live ma position géographique sur ce Grand Raid.

Je lui dis que mon avance sur la barrière horaire a fondu. Du coup, je ne pense pas objectivement arriver durant la nuit. Mais plutôt fin de matinée le Dimanche. Ce qui va s’avérer — en réalité — une bonne nouvelle, puisque cela facilitera le déplacement — à un horaire convenable — de ma famille. Permettant à mes enfants de se lever dans de bonnes conditions avant de se mettre en route pour Saint-Denis. Et l’arrivée.

J’entrevois alors l’arrivée comme une possibilité.

Et ma gorge se noue déjà d’émotion…

J’ai tellement hâte de les revoir tous.

A la différence de nombreux autres trailers, j’ai refusé la moindre assistance des miens sur le parcours. Je refusais aussi de les voir pour ne pas être submergé par l’émotion. Ou que mes petits loulous soient en larmes me voyant arriver, puis repartir subitement.

Bref, il faut y aller.

Je n’ai plus que 2 heures d’avance sur la barrière horaire.

Je n’ai pas dormi depuis… je ne sais même plus…

Go !!!

Etape #17 — Ilet Savannah → Chemin Ratinaud

En sortant d’Ilet Savannah, je croise un concurrent Master — Daniel — qui connait tout le monde. Ancien breton — encore un ?! — devenu réunionnais il y a de nombreuses années, il connait tout le monde ici — me dit-il. D’ailleurs, je n’ai pas le temps de faire davantage connaissance avec lui, qu’il s’arrête déjà pour parler avec un passant :)

On se recroisera régulièrement sur la suite de l’aventure.

Puis le parcours nous fait repasser au dessus de la Rivière des Galets. Avant de monter un chemin en direction de Dos d’Âne.

Sur le chemin, il y a beaucoup de Réunionnais qui nous encouragent. Et qui ont carrément sorti des piques-niques improvisés. Nous invitant à boire un truc avant de repartir. J’accepte une des invitations à boire du coca. Tellement cool ces Réunionnais…

La route goudronnée laisse ensuite la place à des sentiers qui retournent vers l’intérieur des terres. Et au bout de quelques minutes… je pique subitement du nez près d’un champ de canne à sucres. Je vais alors revenir sur une décision que j’avais prise : ne pas improviser un dodo tout seul et au milieu de nulle part. Finalement, je n’aurai même pas le temps de vraiment me reposer puisque :

  • Je constate que ma couverture de survie est arrachée en partie ;
  • Et la batterie de mon téléphone me lâche déjà — la recharge n’aura pas été suffisamment longue ;

Impossible de me reposer ainsi, d’autant que mon coussin sur la barrière horaire est trop léger.

Le temps d’avaler une barre caféinée, je me remets alors en route.

Je croise alors d’autres trailers qui ont essayé de m’imiter. Mais l’endroit est truffé de crapauds. Et surtout de chiens abandonnés. Qui ne permettent pas vraiment de se reposer ici…

Sur la fin du parcours, avant d’arriver au ravito du Chemin Ratinaud, on passe par un sentier… Mais d’une difficulté incroyable. Avec la fatigue et les douleurs tendineuses — même si un grand merci aux soins des différents corps médicaux — je me trouve dans le sentier Kalla.

Je n’avais jamais entendu parler cette partie-là auparavant… Beaucoup de trailers en parlaient autour de moi avec beaucoup d’appréhension.

Et je comprends pourquoi…

Complètement dégueulasse ce sentier.

Raide. Cassant. Il faut parfois enchainer plusieurs sauts de plus d’1 mètre pour dévaler des énormes rochers ou des pentes très raides. Il y a de grosses racines glissantes partout. Il faut même s’accrocher à des lianes ou des troncs pour ne pas tomber bêtement.

Et risquer de se blesser.

Ce serait vraiment c** de mettre fin à l’aventure après tant de kilomètres parcourus…

Je perds bcp de positions sur ces zones difficiles que je maîtrise mal.

Et ma tendinite me fait qd même mal, surtout durant les innombrables sauts qu’il me faut effectuer.

Et il est passé minuit (00h12), on est déjà Dimanche — lorsque je pointe enfin au Chemin Ratinaud. Avec seulement 2h30 d’avance sur la barrière horaire :

  • 147,3km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 50h12'20
  • Dénivelé total depuis le départ : 8813D+

Mon très long arrêt à Ilet Savannah m’a fait chuter à la 1688e position. Mais… ce n’est finalement que 150 positions de perdues, alors que je me suis arrêté durant 3 longues heures.

Surprenant…

Une fois sur place, je porte toujours le poids de mon dodo avorté près du champ de canne à sucres. Et j’ai toujours besoin d’un peu de sommeil. Le bénévoles s’accordent alors pour me réveiller dans moins de 30 minutes.

Au rendez-vous : un joli carton qui m’attend par terre, face au ravito :)

Je vais ainsi pouvoir récupérer au sec, et repartir plus frais.

25 minutes plus tard — Réveil en fanfare.

Le temps d’avaler quelques bricoles.

Et c’est reparti en direction de La Possession !

Etape #18 — Chemin Ratinaud → La Possession

Le chemin Ratinaud et le sentier Kalla doivent être des frères jumeaux. Car dès la sortie du ravito — et après 500m d’accalmie sur du bitume — c’est reparti comme en 40 !

Gros rochers, lianes, glissades, sauts, etc.

Puis, peu à peu, le chemin se simplifie. C’est du moins le souvenir que j’en ai… Et une partie de moi commence à s’énerver.

Mon cerveau se met à switcher.

Ras le bol de subir, je vais imposer ma loi.

Au loin, on distingue la ville de La Possession. Le chemin semble encore long. Mais… j’ai un gros regain d’énergie. Je pense que le mental a pris le dessus sur le physique, car je ne vois pas comment j’ai pu trouver de l’énergie musculaire à ce stade.

Et je me mets à courir dans les descentes.

A dépasser un grand nombre de concurrents en mode zombie/HS.

Et c’est sans arrêt.

Je gueule des “gauche” ou “droite” pour qu’on me laisse le champ libre dans les endroits bouchonnés.

Ce n’est plus moi qui contrôle ce corps…

Enfin, le chemin laisse à nouveau place à une partie bitumée. Avant de repartir dans une petite forêt. Pour revenir sur la route.

J’arrive même à accélérer mon rythme.

Derrière moi, je sens un coureur qui tente de s’accrocher à mon wagon. Et je maintiens mon effort jusqu’au grand ravito de La Possession. Le public m’encourage, lève même des pouces à mon passage pour me féliciter de cette performance.

C’est dingue comment je me sens bien après tous ces passages à vide…

Et il est 03h11 lorsque je pointe au ravito. Avec presque 3h d’avance sur la barrière horaire cette fois :

  • 155,6km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 53h11'21
  • Dénivelé total depuis le départ : 9001D+

Etape #18 — La Possession → La Grande Chaloupe

Dans ma tête, je suis à fond. Arrivé devant le stand du ravito, je mange à ma faim tout ce qu’il y a : du bouillon, des pâtes et du thon, des biscuits Tuc…

Je prends même du café.

Et je pars m’asseoir sur un banc pour manger d’autres choses que j’ai avec moi, récupérées dans mon sac.

Un gars s’installe près de moi : Bastien.

Vraisemblablement, c’est le gars qui me collait au train en arrivant. On se met à échanger comme si on était des copains de longues années. On sympathise rapidement.

Bastien est très fatigué et compte repartir avec moi. J’accepte, et je lui propose qu’il aille dormir sur une banquette prévue à cet effet. Pendant que je fais — à nouveau — recharger ma montre, qui s’est encore coupée !

30 longues minutes plus tard — dont je n’avais franchement physiquement pas besoin — je récupère ma montre. Je suis fin prêt et je pars le réveiller.

On sort du ravito, et on court jusqu’à la prochaine étape clé du parcours : le début du chemin des Anglais, que je découvre enfin ! Je n’ai jamais vu ce chemin lors de mes précédentes tentatives, puisque les blessures m’ont stoppées avant.

Il fait encore nuit. Le parcours est finalement beaucoup plus sympa qu’il ne m’avait été vendu. Les pavés du chemin sont relativement secs et on peut avancer sans risquer une fracture tous les mètres.

On continue à sympathiser, à se raconter nos vies. A délirer sur les sketches des Inconnus. A discuter un peu avec d’autres trailers — dont un gars du Nôôôrd venu tout droit de Loos-en-Gohelle.

Bref, c’est moi qui mène notre petit wagon car je me sens en forme.

Et ce parcours ne pose finalement aucune difficulté.

Jusqu’à la Grande Chaloupe, où l’on pointe à 6h17 :

  • 162,9km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 56h17'12
  • Dénivelé total depuis le départ : 9326D+

Le soleil se lève.

Etape #19 — La Grande Chaloupe → Le Colorado

Arrivés devant le train de l’ancienne gare de la Grande Chaloupe, on prend notre temps. Bastien croise 2 autres trailers avec qui il a parcouru un bout de chemin ces dernières heures — Pierre et Julien.

J’attends tout ce beau monde avant de nous remettre en route. Et de reprendre la seconde partie du chemin des Anglais. Qui va nous faire grimper en haut de la falaise qui surplombe la Route du Littoral.

Avant de s’enfoncer dans les terres, en direction du Parc du Colorado — parc d’enfance de ma chérie, qui vivait tout près de là.

Le soleil commence déjà à taper très fort. Alors, qu’il pleuvait à torrent les dernières nuits…

Sans trop de difficultés, on sort de nos sentiers.

Pour rejoindre une nouvelle route bitumée. Je perds mes nouveaux compagnons de route au niveau d’une petite tente de ravitaillement. Où seule de l’eau nous est proposée.

Je sens que le soleil va faire mal et je ne veux pas que mes derniers kilomètres soient trop pénibles.

Alors, je reproduis mon cérémonial en mélangeant eau, sodium et poudre Maurteen.

Pas vraiment du temps de perdu selon moi.

Puis la route continue de descendre. Avant de nous emmener devant un nouveau chemin, en direction de la station météorologique. Qui se situe au sommet du Parc du Colorado.

Et là… le soleil tape déjà très fort. Il n’y a quasiment plus de zones d’ombre. Le sentier est raide et pas toujours simple à franchir, car très gras suite au passage de la pluie la veille. Par moments, on va carrément traverser de véritables tranchées pendant une bonne heure.

Bientôt la fin !

Dans ma tête c’est à nouveau le bordel… ces tranchées, l’arrivée à bout de bras, le manque de confort et de sommeil sur ces 3 derniers jours m’usent profondément.

La fatigue et le soleil sont en train de me créer une insolation. Je me sens déshydraté, lourd, fébrile… Et ma tendinite me fait souffrir.

Je cloche du pied gauche.

Bref, ça ne va pas fort.

Je lutte

L’arrivée est toute proche.

Mais elle me semble pourtant s’éloigner à chaque pas. Nerveusement, je commence à craquer…

Je n’en plus, je suis au bout de moi-même.

C’est vraiment dur là…

J’arrive au Parc du Colorado en pleurs.

Je claque des dents à cause du froid, de la fatigue… Et je me rends directement à l’infirmerie.

Je ne suis vraiment pas bien.

Il est 9h36 :

  • 171,4km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 59h36'48
  • Dénivelé total depuis le départ : 10147D+

La deadline de l’arrivée au Stade de La Redoute est à 16hcar on ne doit pas excéder 66 heures de course. Au fond de moi je le sais, je sais que je suis en train de réussir mon pari. Entrainement zéro, et pourtant je suis là. J’ai donc 6 heures devant moi pour parcourir les 5 derniers kilomètres qui me séparent de l’arrivée.

Et je vais retrouver ma famille, et mes enfants !!

Ils me manquent tellement…

Je craque complètement.

Je sais que je ressemble à un fou sorti d’un asile. En me présentant à l’infirmerie, je ne ressemble à rien avec ma tête déchirée, en train de pleurer. Je suis totalement inconsolable.

Alors le médecin me prend sous sa coupe et donne immédiatement des directives à ses équipes.

Ils m’installent sur un lit de camp.

Puis me mettent une grosse couverture.

Et me cajolent comme ils peuvent.

J’ai l’impression d’être une vieille babouchka là…

Ils me consolent. Me massent. Et me laissent même faire un rapide dodo. Mais ces instants sont définitivement flous dans ma tête… impossible de savoir exactement combien de temps je suis resté là.

Soudain, le médecin se met à hurler : “la pluie reprend, il faut y aller !”. Là, je dois me lever, il me reste 5 kilomètres. Je sors machinalement de la tente, avant de reprendre le sentier, sans m’arrêter au ravito.

Je suis totalement en mode zombie, ma tendinite me fait souffrir.

En traversant le Parc du Colorado, je reconnais l’endroit qu’on avait déjà visité en famille.

J’avais même dévalé les 5 kilomètres qui m’attendent à une vitesse folle à l’époque. Mais là… Le Stade de La Redoute me semble encore terriblement loin !

Etape #20— Le Colorado → Arrivée au Stade de La Redoute (StDenis)

Le film de ma course défile dans ma tête. Je croise alors l’italien de mon SAS de départ — incroyable de le retrouver là. On échange un bref coucou, car je suis encore en train de pleurer tout seul — bêtement — pendant que j’avance comme je peux…

Cette dernière descente est encore très difficile. Pas aussi tordue que la descente du sentier Kalla. Mais on va descendre 650m de dénivelé négatif, soit l’équivalent de 1,5 Tour Eiffel. Il y a beaucoup de racines, ça glisse. Et la pluie n’arrange à nouveau rien.

Je continue à chialer, je veux revoir mes enfants…

Et subitement… mon cerveau switche à nouveau

J’imagine que la fatigue accumulée y est pour beaucoup. Mais je sens que je passe progressivement du “Zombie Pleurnichard” à un mode “Rambo Lâche-Rien”.

Car dans la seconde partie de cette longue descente, je commence à entrevoir la ville de Saint-Denis, jusqu’ici cachée par la forêt. Je visualise l’arrivée, elle me tend les bras.

Cerveau switché

Quelque chose s’est alors déclenché en moi…

Une forme de rage. Je reprend alors des forces, et je recommence à dévaler ce parcours. Comme c’était le cas vers La Possession, où je meuglais des “gauche” ou “droite” pour me frayer un passage.

Là, pareil.

Jusqu’à me confronter à un groupe compact, mené par une femme très âgée. Problème, cette force de la Nature est complètement voutée. Elle passe son temps à se vanter de ses performances régionales. Et personne n’ose la dépasser, de peur de… lui manquer de respect peut-être ?

Je reste sage durant quelques secondes. Mais je lâche un “Désolé, mais j’ai besoin de voir mes gosses !” en la dépassant. Et en reprenant ainsi mon rythme de cabri.

Mode Rambo activé

Je rejoins un dernier groupe, on est quasiment arrivé au niveau de la route après avoir tout dévalé. Un bénévole nous indique “Plus que 20 minutes” — ça nous change des 300 mètres ! Mais… Non !?

Pour le coup, je connais le coin.

Le stade est juste derrière.

Il n’y a pas du tout 20 minutes !?

Là, ça devient n’importe quoi… J’ai l’impression d’avoir la tête en feu. Je fonce littéralement vers le stade. Il y a quelques passants qui se trouvent sur mon chemin, que je manque de renverser à mon passage.

Mes yeux scrutent le public à la recherche des miens. Je suis sûr que la balise GPS leur indique que je suis tout près.

Ma vitesse semble impressionner le public, qui m’acclame à nouveau. Mais en cet instant, je m’en f*** … Mais d’une force…. Je veux juste retrouver les miens, les serrer forts contre moi…

Soudain, là !!! Je les vois !!!

Je vois mon père, et ma femme.

Je fonce vers eux, je les sers fort, ainsi que mes enfants !!

Et….

Je fonds en larme dans leurs bras.

Je dois avoir un cri de rage, de désespoir… mon émotion est intense. VIDEO

Et quelques secondes après, je me sens juste déchainé. Et je fonce au sprint — comme un débile ont dû se dire certains spectateurs— vers la ligne d’arrivée.

Hhhaaaaaaa !!!!

Il est 12h06 :

  • 175,3km parcourus
  • Temps écoulé depuis le départ : 62h06'26
  • Dénivelé total depuis le départ : 10163D+
Arrivée au sprint !

Je récupère rapidement ma médaille et mon t-shirt de finisher. Et je sors immédiatement de là pour aller les rejoindre.

Les retrouvailles sont… intenses !

Je craque à nouveau.

Mais là ça y’est… j’en ai marre.

C’est fini.

Fini.

Je vais pouvoir dormir, être avec eux.

Et boire des bières… bref, la vie quoi !

Back to real life.

Puis, je vais profiter à nouveau des soins proposés par tout le staff médical. Je vais alors confier mes pieds et mon genou aux spécialistes, histoire qu’ils vérifient l’état général et me remettent un peu “à neuf”.

Bon appétit :)

Avant de rentrer chez nous, au calme.

Bye bye!

That’s all, folks!

31,47% d’abandon sur ce Grand Raid 2024

Je finis ce Grand Raid sur une position anonyme : 1795e au général. Mais sur 2939 partants, seuls 2014 rallieront l’arrivée — dans les délais impartis.

Les abandons ont des causes multiples, j’imagine : blessures plus ou moins superficielles, craquage mental, fatigue intense, déshydratation, vomissement et incapacité à s’alimenter…

La liste est sûrement très longue.

Sur de telles distances avec de tels dénivelés, je crois qu’on peut déterminer que finir ce genre d’épreuve est l’aboutissement principal.

Au final, j’aurais réussi à tenir avec quasiment 3 nuits blanches. Et une tendinite que j’aurai réussi à maintenir — malgré tout.

Une chose est sûre : je ne referai plus jamais ce genre d’épreuves. D’abord, pour les raisons environnementales déjà évoquées. Et puis…. Pour vivre quoi de plus finalement ? J’ai vécu l’aventure jusqu’au bout. Alors la refaire avec un paquet d’heures en moins — comme tant d’autres le tentent, ça va changer quoi ?

J’ai surtout compris que je vais désormais me consacrer à des épreuves aux durées “normales”. Qui n’imposent pas des heures d’entrainement que je ne peux de toutes façons pas trouver.

Et qui n’esquintent pas le corps comme c’est le cas ici.

J’ai parfois l’impression que l’ultra-trail est un caprice d’occidental, en quête d’aventure dans sa vie routinière. Et je m’inclus dedans, bien évidemment.

Sinon, pourquoi participer à un tel défi ?

Pour trouver quoi ? Ou pour prouver quoi ?

Je n’ai pas vraiment de réponses à ces questions…

Ce dont je suis sûr par contre, C’est que faire du sport, c’est une manière de respecter son corps.

Mais dans des proportions cohérentes.

Alors… #ViveLeSport

#NeverGiveUp

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David Desrousseaux
David Desrousseaux

Written by David Desrousseaux

Entrepreneur, Ecommerce & digital consultant — Sport passionate / Challenge lover

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